29/11/2024 | News release | Archived content
29.11.2024
Nous tenons à remercier chaleureusement tou·te·s celles et ceux qui ont été présent·e·s lors de cette soirée exceptionnelle en solidarité avec les membres de l'Association d'Accueil en Agriculture et Artisanat (A4) ! A l'occasion de la remise de la 12e édition du prix Danielle Mitterrand, Habib, Tarik et Vincent étaient présents à nos côtés pour partager les multiples initiatives menées par l'association : de la lutte pour la régularisation des personnes sans papiers à la construction d'un réseau de solidarité concrète entre paysan·nes, artisan·nes et des personnes des villes désireuses de se former et s'installer à la campagne. (Re)vivez ce moment partagé, à travers de belles images, reflets de prises de paroles inspirantes et des fragments de réflexions puissantes autour de l'importance de penser nos luttes contre l'extrême droite.
18h30. La salle des fêtes de l'Académie du Climat se remplit peu à peu. Au cœur des enjeux soulevés lors de cette soirée, la diffusion d'un extrait du documentaire « Les Voix Croisées » de Bouba Touré et Raphaël Grisey, nous a plongé dans l'histoire des luttes des travailleurs immigrés à la fin du XXe siècle. Depuis les grèves dites « des foyers taudis » des années 1970 qui dénonçaient les conditions de vie et de travail des ouvriers étrangers jusqu'aux liens créés lors de la lutte paysanne du Larzac, c'est tout un cheminement politique qui aboutit en 1977 à la création de la coopérative agricole Somankidi Coura au Mali. Contre-récits qui mettent en lumière la violence de l'héritage des politiques agricoles coloniales ainsi que la force de l'auto-organisation et des luttes et l'importance de tisser des alliances, ces réalités résonnent avec l'initiative menée par Association d'Accueil en Agriculture et Artisanat (A4).
Après cette immersion émouvante dans le passé, Habib nous a parlé des premiers questionnements qui ont donné naissance à A4 : « on s'est connu dans le 93 autour des luttes pour le logement et les papiers. Après le Covid, on a beaucoup réfléchi aux questions qui se posent aux étrangers qui arrivent en France. Ils savent cultiver la terre et le travail artisanal mais en arrivant ici, leurs seules tâches c'est de faire le ménage, de travailler dans le bâtiment ou dans la sécurité… Pourquoi les portes ne sont-elles pas ouvertes vers les campagnes françaises pour pouvoir vivre dignement des métiers que l'on a envie de pratiquer ? ».
A l'heure où les discours racistes saturent l'espace public, A4 aborde ces problématiques peu débattues mais qui travaillent en profondeur la société. Lors de ce moment, Rachid Bathoum, chercheur spécialisé dans les discriminations, et auteur du livre Les malades du racisme, a souligné l'originalité et la pertinence de cette initiative : « avec A4, il y a une rupture de méthode : ce sont les racisé·es eux même qui construisent. A4 est parti chercher d'autres alliances, notamment avec des paysans blancs. Ils sont allés voir comment on peut créer des alliances qui partent de la même base de pénibilité, de la précarité et de souffrance et d'un positionnement par rapport aux outils capitalistes qui ne donnent pas les moyens aux gens de progresser, de faire leur place et de s'émanciper à travers leur travail. A4 permet de questionner le racisme structurel, le capitalisme, la mondialisation : pourquoi on en est là ? pourquoi le monde paysan en est là ? ».
Alors que le renouvellement générationnel fait planer la menace de récupération de terres agricoles au profit de l'agro-industrie ou de l'étalement urbain, les actions menées par A4 créent les conditions d'entraide, les possibilités de nouvelles installations et encouragent la transmission des savoir-faire paysans. Comme l'a souligné Tarik « les paysans du « Sud » peuvent apprendre aux paysans du « Nord » beaucoup de choses, notamment sur quels types de céréales faire pousser… quand on voit que, par exemple, la Durance est en train de baisser, la question d'absence d'eau va être un enjeu majeur dans beaucoup d'endroits en France ». A n'en pas douter ces échanges mutuels de pratiques et de connaissances, alimentent la construction de système agricole plus résilient et respectueux du vivant.
Ce fut ensuite le temps de remettre le prix Danielle Mitterrand 2024. Dans son discours, Gilbert Mitterrand, rappelle que « A4 affirme concrètement par la construction d'un réseau solidaire d'agriculteurs, d'agricultrices, d'artisans que l'accueil et l'entraide en faveur de personnes exilées, que leur installation en tant que paysan·nes, maraîcher·es ou artisan·nes, en tant qu'acteurs et actrices du développement de leur territoire, ouvre sur un autre monde du possible, riche de ses diversités ».
Il a pu ensuite leur remettre symboliquement un plant de mûrier pour qu'il puisse prendre racine et donner de nombreux fruits à partager, à l'image de ce que nous souhaitons pour toutes les initiatives d'A4 ! De fait, nous espérons que ce prix de soutien et de solidarité leur donnera la force de continuer, malgré les embûches et les attaques de l'extrême droite. La force de continuer l'installation de leur ferme à Lannion, première concrétisation matérielle de leur projet. La force de continuer à tisser un réseau de fermes et de paysan·nes d'un côté et de travailleurs immigrés de l'autre, dans une relation d'égal à égal. La force de se poursuivre le combat auprès des travailleurs agricoles immigrés exploités par les agro-industriels.
A l'aune des enjeux soulevées par A4, la soirée s'est poursuivie par une table-ronde « Exils, ruralités et quartiers populaires : quelles stratégies communes face à l'extrême-droite ? » menée par Eloïse Berard et Margot Medkour, chargées de programmes à la Fondation.
Étaient alors présent·es pour participer aux échanges aux côtés de A4, Béatrice Mesini du Collectif de Défense des droits des travailleur·ses étranger·es (CODETRAS), Achraf Manar de l'association Destins Liés et Christel Husson de l'Assemblée des quartiers. En partant des fractures factices, des idées reçues ou des inégalités réelles qui sont le terreau sur lequel l'extrême droite prospère, des pistes concrètes de lutte se sont dessinées au fil des échanges.
L'image du monde agricole, souvent représenté par la figure des paysan·nes, invisibilise volontiers la multitude d'ouvrier·es agricoles et de saisonnier·es sur lesquel·les reposent la production alimentaire. Pour ces tâches, les entreprises, et l'État français avant elles, exploitent la force de travail de personnes majoritairement étrangères. Comme nous l'a rappelé Béatrice Mesini, cette division raciale du travail agricole se double de discriminations et d'inégalités de traitement : « L'agriculture est devenue une zone de non droit : pas d'accès à la santé et aux soins, des heures supplémentaires jamais payées, des retraites liquidées à quelques centaines d'euros quand les personnes retournent au pays, il y avait tous ces mécanismes d'exploitation et de racisme ambiant. Puis à partir des grandes grèves de 2005 de la Crau, le patronat et les exploitants agricoles ont pris peur ». Suite à ces grandes mobilisations de nouveaux mécanismes d'exploitation de la main d'œuvre agricole ont vu le jour. Néanmoins, ces luttes et les victoires juridiques auxquelles elles ont donné lieu, ont démontré la force de l'outil syndical pour unir les travailleur·ses entre elleux, dépassant ainsi une des fractures utilisées et alimentées par l'extrême droite pour faire grandir ressentiments, rejet et opposition.
Dans un contexte d'austérité généralisée, les attaques acharnées sur tous les acquis sociaux et le climat raciste de plus en plus violent rendent essentiels de relier l'antiracisme, la lutte des classes et la solidarité pour déjouer les pièges tendus par l'extrême droite. L'expérience de vie d'Achraf Manar l'a menée à voir : « que les forces capitalistes et les forces fascistes savent très bien s'organiser entre elles pour nous diviser ». Derrière ce « nous » se trouvent les classes populaires, impactées par des cycles qui se répètent : « 1995-96, il y a une réforme des retraites portée par Juppé, l'année d'après la loi Pasqua Debré durcit les conditions d'immigration. 2008 : la crise, grande austérité et surpression d'emplois, 2009 : on fait passer la pilule avec un grand débat national très islamophobe. Et avec Macron, exactement les mêmes procédés : grande réforme des retraites qui arnaquent les classes populaires blanches et non-blanches et juste après la loi Immigration. » Or face à ces attaques néolibérales, autoritaires et xénophobes, les luttes sont disjointes et la solidarité faillit « quand on en vient aux questions d'immigrations, les étranger·es, les immigré·es, les non-blanc·hes sont un peu tous seul·es sur ces luttes ».
La question des alliances s'est ainsi imposée, ouvrant la voie à des échanges passionnants. Tisser des liens entre les générations, tisser des liens entre les luttes, tisser des liens entre les territoires et par-delà les frontières, tisser du lien entre les personnes et les réalités vécues, c'est un des socles d'actions de l'Assemblée des quartiers dont nous a parlé Christel Husson « l'assemblée des quartiers, c'est cette histoire, c'est trois générations qui se sont levées aux lendemains des années 80, ces générations issues de l'immigration, c'est ce réseau national qui se tisse depuis des dizaines d'années, depuis les lendemains des indépendances, ce sont les personnes qui disent « on est chez nous », qui rassemble les gueux, les abandonné·es, et c'est celles et ceux qui disent aussi « on peut le faire ! » […] les alliances on les cherchent avec respect et égalité ». Au cœur des possibilités d'alliances se trouve « la rencontre humaine ». Comme l'a rappelé Achraf, « rien que le fait d'avoir des espaces communs, de pouvoir discuter, dépasser les préjugés aussi en essayant de montrer qu'on peut miser sur l'intelligence des gens. Oui, les blancs des milieux ruraux peuvent comprendre le racisme, peuvent comprendre la souffrance de l'autre. Et de la même façon les jeunes issu·es de l'immigration partagent aussi des réalités communes avec les jeunes des milieux ruraux ». Et Tarik d'ajouter que « c'est aussi par rapport à ces réalités-là communes qu'on peut créer du lien ».
C'est sur ces prises de paroles et ces pistes concrètes que la table-ronde s'est achevée. Les échanges, eux, se sont poursuivis en toute convivialité autour d'un verre partagé à quelques pas de là. Accueillis dans le restaurant le Trumilou, la soirée s'est ainsi terminée dans la joie, de celle qui ressource et redonne l'énergie pour s'engager et agir collectivement !