05/12/2024 | Press release | Archived content
Les affaires d'importants trafics et de gestion irrégulière de déchets se multiplient dans les territoires et devant les tribunaux. Déchets ménagers, déchets du bâtiment ou déchets dangereux, certains essaient de les éliminer à moindre coût, au détriment de l'environnement et de la santé. Et cela s'avère lucratif.
France Nature Environnement, qui fait valoir les intérêts de l'environnement en justice dans toute la France, porte plainte et se constitue partie civile dans ces procès d'ampleur.
Comment se déroulent ces trafics et ces exploitations illégale de décharges ? Que révèlent ces pratiques sur ce que l'on jette ? La réponse des juges est-elle efficace ? Focus sur des affaires jugées et des affaires en cours…
On estime que jusqu'à 30 % de l'ensemble des transferts de déchets en Europe pourraient être illicites, ce qui représenterait un bénéfice de 9,5 milliards d'euros par an pour les criminels, selon l'Office européen anti-fraude.
L'affaire de « la mafia des déchets » jugée à Draguignan en 2021 avait mis en lumière un trafic colossal de déchets du bâtiment, qui représentent le plus gros gisement parmi les différents flux de déchets en France. Des « entrepreneurs » remportaient des marchés en région PACA(au rabais) pour récupérer des déchets de démolition et décidaient de s'en débarrasser dans la nature (zones Natura 2000, espaces boisés classés, Réserve naturelle nationale…) au lieu de payer une filière légale de traitement de ces déchets. Des personnes qui pensaient recevoir de la terre commandée sur un site de petites annonces se sont retrouvés menacés de mort s'ils refusaient les dizaines de camions débarquant sur leur propriété et se délestant de centaine de tonnes de déchets.
En première instance des peines de prison allant jusqu'à 4 ans (dont 2 avec sursis) ont été prononcées contre les trafiquants. Les entreprises, elles, ont été condamnées à régler des amendes atteignant 300 000 euros. La Cour d'appel doit se prononcer le 18 décembre 2024.
L'affaire d'importation illégale de déchets belges en France a aussi révélé en 2023 que les déchets ménagers n'étaient pas épargnés par le trafic en Europe. Il s'agissait encore d'un trafic en bande organisée, dans lequel les malfaiteurs élaboraient de fausses déclarations, et multipliaient les structures juridiques et les intermédiaires. Ce type d'affaire est aussi complexe en raison des nombreux auteurs aux niveaux d'implication différents. Les enquêtes nécessitent des écoutes téléphoniques et des moyens humains conséquents. Et cette affaire comprend un volet en Belgique, qui n'a pas encore été jugé.
Le trafic de déchets s'accélère aussi entre la France et l'Espagne… Un camion sur trois transportant des déchets vers l'Espagne serait hors la loi selon la gendarmerie espagnole. De nombreux déchets français seraient ensuite enfouis dans des décharges espagnoles pour un coût 5 fois moins cher, sans que l'on connaisse la nature exacte des déchets (et donc les risques de pollutions).
France nature environnement vient de se constituer partie civile dans une affaire concernant le surnommé "roi des poubelles" du Gard et six autres personnes. Ce trafic a touché les régions Provence-Alpes-Côte D'Azur, Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes ainsi que l'Espagne. Des sites accueillaient 20 fois plus de déchets que ce qui était déclaré. Quand cela devenait trop visible, les déchets étaient envoyés en Espagne. Mais d'autres fois, des incendies gravissimes se sont déclarés comme à Saint-Chamas alors que le Maire avait alerté sur les quantités anormales de déchets stockés. Cela a causé des niveaux de pollution aux particules fines jamais vus. Les enfants n'avaient plus le droit de sortie en cours de récréation pour ne respirer cet air pollué.
Chaque année, l'ensemble des activités économiques et des ménages de l'UEgénèrent plus de 2 000 millions de tonnes de déchets. Cela équivaut à 4,8 tonnes de déchets par habitant.
Bien que la plupart des déchets produits dans l'UEsoient traités au niveau national, des quantités importantes sont expédiées vers d'autres pays. Environ 33 millions de tonnes sont exportées, soit une augmentation de 75 % depuis 2004, tandis que 70 millions de tonnes sont échangées au sein de l'UE.
Ainsi les trafics se développent car la production de déchets en Europe dépasse souvent les capacités de traitement de certains pays, et favorise l'exportation de déchets, permettant à des personnes mal intentionnées de s'enrichir à cette occasion.
Lorsque des déchets sont abandonnés, il existe des risques de pollutions de cours d'eau et des sols, de combustion, d'atteinte aux habitats d'espèces protégées. Les déchets laissés au sol empêchent la végétation de pousser, et certains déchets, notamment plastiques, ne sont pas biodégradables et restent très longtemps dans l'environnement. Les déchets plastiques, par exemple, ne sont pas biodégradables et restent très longtemps dans l'environnement. On soupçonne certains industriels d'avoir voulu se débarrasser de ces déchets plastique en pleine nature, en les brulant en tout ou partie.
Ainsi en 2023, FNE a déposé plainte aux côtés de Lorraine Nature Environnement et de Vosges Nature Environnement, après avoir appris l'existence de deux décharges de déchets plastique près de Vittel. Par la suite le directeur de la production Nestlé a reconnu l'existence de neuf décharges sur le foncier de la société. L'enquête est en cours auprès du parquet de Nancy.
Il existe aussi des cas dans lesquels les déchets sont stockés légalement mais dans des conditions dangereuses, causant des incendies. En Martinique, malgré cela, comme il y avait une pénurie de traitement de déchets sur le territoire, les apports de déchets ont repris malgré les risques liés à l'installation en cause (pour aller plus loin concernant le Syndicat Martiniquais de Traitement et de Valorisation des Déchets).
Aussi France Nature Environnement a saisi en juin dernier la juge d'instruction du tribunal judiciaire de Lyon dans une affaire où sont mis en examen des promoteurs, des agriculteurs, et un maire. Sont évoqués 180 000 m3 de déchets, (soit l'équivalent de 72 piscines olympiques), des champs ensevelis et des atteintes aux habitats d'espèces protégées.
Les déchets dangereux ont différentes propriétés : explosif, inflammable, irritant, etc. et peuvent provenir d'activités industrielles, de soin… Il peut s'agir d'huiles usagées, de piles, de déchets d'équipements électriques et électroniques, de véhicules hors d'usage, des déchets amiantés.
Dans une affaire dans laquelle FNEétait partie civile, les terrains d'habitants de la région PACAvictimes de trafiquants étaient pollués par des déchets contenant du plomb (pouvant venir de gravats ou de déchets de maçonnerie) et de l'arsenic. Des riverains ont suspecté que leurs problèmes de santé étaient liés à ces déchets dangereux.
Cela peut nous faire penser à l'Italie depuis les années 1980 : une région est devenue la poubelle de l'Europe par l'enfouissement illégal de déchets toxiques, la Campanie : hausse avérée de cancers et de malformations, contamination des sols et des nappes phréatiques.
Les déchets dangereux, dont le coût de retraitement est élevé, sont aussi concernés par les trafics. Dans un rapport de 2018, le Programme pour l'Environnement des Nations Unies (UNEP), rappelle que le trafic illégal de déchets représente un potentiel de 410 milliards de dollars de profit pour les organisations criminelles. Ce marché souterrain ne paye pas de taxe ou d'impôts. Un coût médian de gestion des déchets dangereux de 238 euros la tonne, contre un coût de 63 euros pour les déchets non dangereux, incite aux pratiques frauduleuses.
En Europe, la production de déchets dangereux « ne cesse d'augmenter depuis 2004 », déplore la Cour des comptes européenne dans un rapport d'analyse publié en 2023. L'industrie, notamment la métallurgie, le traitement de l'eau et des déchets, la construction et les industries extractives représentent 75 % des volumes produits.
Tout d'abord, la complexité de la réglementation et le défaut d'harmonisation des textes entre pays européens ne rend pas les enquêtes aisées. Aussi contrairement à la drogue, le déchet est licite en soi ce qui facilite la falsification des déclarations…
Lors des procès, le mouvement FNEexpose l'importance de la remise en état des lieux par l'enlèvement des déchets. Si les procès démontrent que ces faits sont traduits en justice, FNEconstate pour le moment que le sujet central de l'enlèvement des déchets et de la remise en état est loin d'être résolu.
S'agissant de l'affaire de la mafia des déchets en PACA, treize sites doivent être remis en état aux frais des délinquants, qui doivent consigner trois millions d'euros pour cela. Mais il est encore trop tôt pour dire si les sommes seront consignées et si elles permettront réellement d'enlever tous les déchets sur chacun des sites. Et l'environnement trinque en attendant…
Dans l'affaire des déchets ménagers abandonnés dans la nature dans le Grand-Est l'enquête a estimé le coût d'enlèvement et de retraitement des déchets et les chiffres peuvent impressionner : pour un site et ses 500 tonnes de déchets, l'opération s'élèverait à 90 000 euros selon un expert. Cette affaire au total concernait 10 000 tonnes de déchets soit l'équivalent du poids de la tour Eiffel, et sera prochainement jugé en appel. Les petites communes touchées n'ont pas les moyens de payer pour cela.
Enfin les moyens de la justice consacrés à l'environnement sont bien trop faibles pour saisir le sujet de ces trafics à bras le corps. Les responsables agissent en bande organisée, avec de vrais réseaux et des responsabilités. La police de l'environnement et les gendarmes de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique n'enquêtent pas sur tous les trafics. Les magistrats n'ont pas le temps d'instruire plusieurs affaires environnementales d'ampleur. Résultat : de nombreux trafics passent sous les radars.
Une des premières solutions est de réduire la quantité de déchets produites à la source. Le réseau déchets de France Nature Environnement est engagé pour promouvoir des politiques respectant la hiérarchie de traitement des déchets : d'abord réduire, puis réutiliser, enfin recycler.
Il est essentiel d'adopter des politiques publiques allant dans le sens de la sobriété pour réduire la production et préserver nos ressources naturelles. Il faut revoir nos modes de productions qui épuisent les matières premières et faire la transition vers une économie circulaire.
Les solutions sont nombreuses :
Encadrer la production à la source pour lutter contre la surproduction (textile, appareils numériques, emballages…).
Mettre en place des mécanismes financiers récompensant les entreprises les plus vertueuses et pénalisant les entreprises qui surproduisent ou produisent dans des conditions néfastes pour l'environnement et la santé humaine.
Encourager le développement d'initiatives qui permettent le réemploi et la réutilisation des objets et des matériaux : ressourceries, recycleries, matériauthèques (pour les déchets du bâtiment)…
Mettre en place des incitations à la réparation et sensibiliser les citoyen·nes à l'importance de la réparation.
Lutter contre l'obsolescence programmée pour allonger la durée de vie des équipements.
Grâce à Sentinelles de la Nature, chaque citoyen·ne peut agir pour lutter contre le trafic de déchets et les dépôts de déchets sauvages
Sentinelles de la Nature est un outil citoyen d'alerte et de veille environnementale. L'objectif est de recenser et de traiter des alertes afin de protéger la nature et l'environnement
Des signalements d'atteintes à l'environnement :
Grâce à ces signalements, des décisions de justices ont été prises :
Mais également des initiatives favorables ! Notamment des actions citoyennes de ramassages de déchets :
L'application Sentinelle de la Nature permet avec simplicité de localiser, de décrire et d'illustrer les atteintes à l'environnement (mais aussi les initiatives favorables pour les valoriser et les promouvoir).
Une fois un signalement renseigné, il sera étudié par l'association territoriale correspondante qui décidera des suites à donner (ou non), telles que la publication du signalement sur notre site, le conseil et l'accompagnement de la «sentinelle» pour lui permettre d'agir, voire l'engagement de démarches directement par l'association territoriale.
Le but de ce projet est avant tout d'accompagner les citoyen·nes dans l'action pour la préservation de la nature et de l'environnement. C'est un outil de mobilisation citoyenne.
Sentinelles de la nature est un projet fédéral de FNE, ouvert sur l'ensemble du territoire métropolitain, en Guyane et à Mayotte.
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