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Université de Montréal

05/15/2024 | Press release | Distributed by Public on 05/15/2024 15:17

«Je me suis fait de nouveaux amis»

Katherine Frohlich

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

Il est 15 h 15, un vendredi après-midi, à l'école Saint-Benoît, une école primaire de l'arrondissement d'Ahuntsic-Cartierville, dans le nord de Montréal, quand la cloche sonne la fin des classes. Des vagues d'enfants déboulent dans la cour derrière l'école, qu'ils contournent, et affluent dans la rue devant.

D'habitude, quelques voitures tournent au ralenti devant l'établissement: des parents qui viennent chercher leur enfant ou qui arrivent après qu'un ensemble de minibus jaunes ont fait monter les élèves autistes qui ont besoin de transport pour rentrer à la maison.

Mais aujourd'hui, la rue appartient aux enfants qui ne sont pas encore partis, soit plus de 300 d'entre eux.

Ils courent, crient, jouent sur l'asphalte: ils profitent d'un projet de recherche de l'Université de Montréal, qui sera bientôt étendu à deux autres écoles primaires montréalaises, visant à limiter l'accès aux voitures aux abords des écoles, du moins pendant une partie de la journée.

Le concept s'appelle «rue-école» et cherche à répondre aux préoccupations concernant la sécurité, les problèmes de circulation et le manque d'activité physique des enfants, qui s'est aggravé durant les nombreux mois passés à la maison pendant la pandémie de COVID-19.

Le concept de rues scolaires sans voiture a été testé dans d'autres villes canadiennes: Victoria, Vancouver, Winnipeg, Toronto et Markham. À Montréal, c'est l'école Saint-Benoît qui en est le terrain d'expérimentation depuis deux ans.

Cofinancé par les Instituts de recherche en santé du Canada, le programme Accélération de Mitacs et la Ville de Montréal, le projet pilote d'Ahuntsic est codirigé par Katherine Frohlich, experte en santé publique de l'UdeM, et le Centre d'écologie urbaine, un organisme sans but lucratif de Montréal.

Le projet s'intitule Changer les règles du jeu (Levelling the Playing Fields en anglais).

«Il n'a pas été simple à mettre en place, mais les résultats sont clairs. Il semble qu'il suffise de fermer temporairement une rue pour permettre à des centaines d'enfants de sortir et de jouer, et cela signifie qu'ils sont plus heureux, en meilleure santé et pleins de joie», déclare Katherine Frohlich, professeure titulaire à l'École de santé publique de l'Université de Montréal (ESPUM), qui a visité l'école Saint-Benoît à la fin du mois d'avril pour voir le plan à l'œuvre.

Nancy Gagnon est entièrement d'accord. En ce vendredi après-midi ensoleillé, elle est venue à pied chercher sa fille de neuf ans, Emma, et s'est mêlée aux autres parents du quartier sur l'avenue du Mont-Cassin, devant l'école.

«Nous avons déménagé dans ce quartier quand Emma était au milieu de sa troisième année et le fait de pouvoir jouer dans la rue après l'école l'a vraiment aidée à s'intégrer et à faire connaissance avec beaucoup d'autres enfants, assure-t-elle. Dans la cour, les enfants sont séparés par groupes d'âge, mais ici, dans la rue, ils se mélangent davantage.» Emma ajoute: «Je me suis fait de nouveaux amis. Ce ne sont pas les mêmes que ceux de ma classe, et le fait d'être dehors permet de prendre l'air.»

Comme tous les vendredis après-midi, après l'école, des bénévoles vêtus de gilets de sécurité orange ont bloqué la rue aux deux extrémités et ne laissent entrer ou sortir les voitures que s'il s'agit de résidants qui reviennent à leur domicile ou partent de chez eux. Le cas échéant, les bénévoles marchent à côté du véhicule, créant une zone tampon entre celui-ci et les enfants.

Dans la rue, certains jeunes ont installé des filets pour jouer au hockey de ruelle. D'autres tapent dans un ballon de soccer. D'autres encore sautent à la corde, jouent à la tague, se rassemblent en groupes pour discuter de ce qui s'est passé à l'école durant la journée ou de ce qu'ils feront au cours de la fin de semaine.

«Bien sûr, en hiver, quand il fait froid, nous avons beaucoup moins d'enfants dehors, remarque Denis Boivin, directeur de l'école. Mais maintenant qu'il fait plus chaud, plusieurs appellent même chez eux à la fin de la journée pour demander s'ils peuvent rester après l'école. C'est génial.»

Au bout d'une heure, lorsqu'il est temps de partir, la plupart des enfants s'en vont à pied, à vélo ou en trottinette. Beaucoup rentrent sans être accompagnés d'un parent; avant la mise en place du programme il y a deux ans, seul un sur trois le faisait.

Dix pour cent d'enfants en moins arrivent en voiture le matin. Il y a moins de circulation dans les rues, moins de conducteurs qui font demi-tour devant l'école et les parents ne s'inquiètent plus autant de la sécurité, selon Denis Boivin. «Grâce aux recherches effectuées à l'Université de Montréal, nous avons des chiffres qui prouvent que le programme fonctionne, ce qui nous permet de l'expliquer plus facilement aux parents, aux résidants et aux représentants de la ville. Il n'y a pas que nous qui disons qu'il s'agit d'une bonne chose, les données le démontrent», dit-il.

En 2025, le projet sera mis à l'essai dans les écoles primaires Guillaume-Couture et Saint-Clément dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve trois jours par semaine. Pourquoi pas quatre ou cinq? Parce qu'il est difficile de trouver et de retenir les bénévoles, d'après Manuel Moreau, l'une des cinq personnes donnant un coup de main à l'école Saint-Benoît aujourd'hui.

«Souvent, ce sont les parents et même les grands-parents qui se portent volontaires, mais ils disparaissent quand l'enfant part et entre au secondaire, explique-t-il. Mobiliser les gens pour qu'ils aident est toujours un défi.»

La coordination à l'échelle du gouvernement local pose tout autant un défi. L'école Saint-Benoît est située à Ahuntsic, district représenté par la conseillère municipale Nathalie Goulet, qui a dû collaborer avec la police, la Société de transport de Montréal et bien d'autres organismes afin que la rue-école devienne réalité. «Il est rare de voir des projets regroupant autant de partenaires que celui-ci et c'est un projet exceptionnel, souligne la conseillère, qui était présente à l'évènement qui s'est déroulé fin avril. Il y a l'arrondissement, l'école et la collectivité qui s'unissent pour le bien des enfants. Après tout, les enfants sont aussi des citoyens et ils doivent se sentir chez eux dans leur ville.»

En Amérique du Nord, où la voiture est encore reine, il faut parfois convaincre les parents de renoncer à conduire leurs enfants à l'école, ne serait-ce qu'un jour par semaine. Certains experts pensent qu'il est peut-être temps de concevoir les villes de telle sorte que certaines écoles ne soient pas directement accessibles en voiture.

«C'est une idée acceptable en Europe», affirme Julie Karmann, architecte paysagiste et doctorante en promotion de la santé à l'ESPUM, originaire de Metz, en France, qui est venue observer les activités parascolaires à l'école Saint-Benoît.

«D'où je viens, de nombreuses écoles ont un parvis à l'avant, une avant-cour piétonnière où les parents peuvent se rassembler lorsqu'ils amènent ou viennent chercher leur enfant à pied. Ces endroits ne sont peut-être pas précisément voués au jeu, mais c'est souvent ainsi que les enfants les utilisent», indique-t-elle.

En d'autres termes, retirer les voitures devant les écoles, même pour quelques heures par jour, «c'est une autre façon de partager l'espace public», note Véronique Fournier, directrice générale du Centre d'écologie urbaine. Le projet de l'école Saint-Benoît est «un exemple inspirant qui commence à faire boule de neige dans d'autres régions du Québec».