13/12/2024 | Press release | Distributed by Public on 13/12/2024 17:29
Le Gouverneur de la Banque de France était l'invité de la matinale de BFM Business vendredi 13 décembre 2024.
Laure Closier
Notre invité du grand entretien aujourd'hui est François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, bonjour. Hier, la Banque centrale européenne a baissé d'un quart de point les taux. Elle a estimé que si elle faisait plus, ça donnerait un sentiment d'urgence trop fort. Pourtant, on a vu d'autres banques centrales, par exemple comme la Banque du Canada, baisser de 0,5. C'était aussi votre envie, si je puis dire. Là, est-ce que la Banque centrale européenne n'a pas fait assez ?
François Villeroy de Galhau
Parlons d'abord de ce que nous avons décidé. Nous avons baissé les taux pour la quatrième fois cette année : c'est une bonne nouvelle. Nous l'avons fait parce que nous avons une confiance de plus en plus grande dans le succès de la politique monétaire pour ramener l'inflation à 2 %. Nous avons donc la stabilité des prix et, deuxième raison, nous faisons attention aux risques sur la croissance, mais les raisons sont bien dans cet ordre. Et nous avons aussi changé la communication, c'est-à-dire que nous avons retiré ce qu'on appelle le biais restrictif de notre communication. Pour le dire clairement, il y aura d'autres baisses de taux à venir l'année prochaine, d'autres au pluriel. Je note que le taux européen à 3% est aujourd'hui nettement plus bas que le taux anglais [de la Banque d'Angleterre] ou le taux américain [de la Fed] qui sont à plus de 4,5 %. Nous ne sommes pas engagés à l'avance sur une trajectoire de taux, mais nous sommes collectivement plutôt à l'aise avec la prévision de taux d'intérêt des marchés financiers pour l'année prochaine. Cela ne veut pas dire engagement, mais cette précision est importante techniquement : les prévisions d'inflation que nous avons publiées hier, sont liées à l'hypothèse, comme toujours, des taux de marché tels que prévus.
Raphaël Legendre
Si on fait un petit retour d'expérience, on a vécu une crise inflationniste qu'on n'avait pas vécue depuis très longtemps. On a vécu une hausse des taux, d'une rapidité, certains ont dit d'une brutalité qu'on n'avait jamais vécue à la BCE. En même temps, ça a été très efficace, puisque l'inflation revient autour de 2 %. Quel est, au sein de la BCE, votre retour d'expérience sur l'équilibre, lutte contre l'inflation et croissance ? Vous avez indiqué, hier, au sein de la BCE que la zone euro perd de l'élan quand même.
François Villeroy de Galhau
Je ne dis pas que nous avons tout fait parfaitement, mais je crois que le retour d'expérience est positif. Souvenez-vous où nous étions il y a deux ans : la crainte alors, face à une inflation supérieure à 10 % au mois d'octobre 2022, en zone euro, était d'avoir une inflation installée durablement, plus une récession. Nous n'aurons ni l'une ni l'autre. Nous allons garder une croissance positive. Elle est trop modérée et il faut que l'Europe fasse des réformes de fond : le rapport Draghi, le rapport Letta, approfondir le marché unique, muscler l'Europe, c'est maintenant le défi. Sur l'inflation, nous sommes revenus à un chiffre très proche de 2 %. Nous sommes à 2,3 % pour la zone euro et à 1,7 %, seulement, en France. La politique monétaire a été efficace pour vaincre l'inflation sans récession.
Laure Closier
Mais quand on entend les discussions au sein de la Banque centrale européenne dire : « Si on avait fait plus, on aurait donné un sentiment d'urgence ». Vous n'avez pas, vous, aujourd'hui, ce sentiment d'urgence face à l'élection de Donald Trump ?
François Villeroy de Galhau
Il faut un peu relativiser cette question de l'ampleur de la baisse de taux. Au fond, il y a trois touches du piano sur lesquelles on peut jouer. Il y a bien sûr l'ampleur ; il y a la communication - c'est très important que nous ayons hier enlevé le biais restrictif, c'est-à-dire, en termes techniques, que nous irions plutôt vers ce qu'on appelle le taux neutre. Et il y a une troisième touche, c'est le rythme. J'attire votre attention sur le fait que c'est la troisième réunion consécutive où nous baissons les taux. Nous pouvons encore jouer sur ces trois touches du piano à la fois.
Laure Closier
Et le taux neutre, alors, c'est combien ?
François Villeroy de Galhau
Le taux neutre, c'est une espèce de taux d'équilibre, quand on ne veut être ni restrictif, ni accommodant et qu'on estime qu'on est sur la bonne trajectoire d'inflation. C'est une notion économique : il n'est pas précisément observable, mais il y a des estimations et celles de la BCE sont dans une fourchette entre 1,7 % et 2,5 %. Vous voyez donc qu'à 3 %, nous sommes encore significativement au-dessus. Savoir où le taux neutre se situe exactement dans cette fourchette est, aujourd'hui, un débat un peu théorique. Il y a de la marge.
Raphaël Legendre
Vous avez parlé réforme, vous avez parlé rapport de Draghi. Il y a une réforme majeure pour la seconde économie de la zone euro qu'est la France, c'est celle des finances publiques. Nous sommes le 13 décembre, nous n'avons ni Premier ministre, pour quelques minutes ou quelques heures encore, ni Gouvernement, surtout ni Budget et a un déficit à la renverse. Une première question sur l'action de la BCE. Si la crise politique devait perdurer en France, est-ce que la BCE pourrait activer des rachats d'actions pour préserver un choc de taux sur la dette française ? Certains disent que c'est déjà le cas.
François Villeroy de Galhau
Cette question n'a pas été du tout discutée hier. Mais vous avez raison, il y a un lien : l'assouplissement monétaire, tel que nous le menons, remet encore plus sous le projecteur le nécessaire redressement budgétaire en France. Je vais le dire un peu autrement. La censure politique ne doit pas déboucher sur le déni de la réalité budgétaire.
Raphaël Legendre
C'est l'impression que vous avez aujourd'hui en France, qu'on nage dans le déni ?
François Villeroy de Galhau
Je ne suis pas un commentateur politique et je n'ai pas à donner d'impression, mais notre problème de finances publiques n'a en rien disparu depuis le 4 décembre. Au contraire. Il faut qu'on regarde ce qui s'est passé depuis quelques mois. Il y a un risque d'enfoncement progressif de la France à cause de ses finances publiques. Une des mesures est ce qu'on appelle le fameux « spread », c'est-à-dire l'écart de taux d'intérêt avec les autres pays. Début juin, la France était beaucoup plus près de l'Allemagne, moins de 0,50 % d'écart, et beaucoup plus loin de l'Italie, à presque 0,9 % devant. Aujourd'hui, c'est exactement le contraire. Nous nous sommes éloignés significativement de l'Allemagne et rapprochés de l'Italie ; nous avons été dépassés entre-temps par le Portugal, l'Espagne, et même la Grèce. La Grèce, cela correspond en partie à une bonne nouvelle, c'est le redressement de la Grèce. Mais qu'est-ce qui se joue à travers tout cela ? C'est que la France, qui était dans le peloton de tête européen, se laisse glisser vers la queue du peloton. C'est un vrai et lourd changement de statut politique de la France en Europe. Cela veut dire aussi que la dette nous coûte de plus en plus cher.
Raphaël Legendre
Le déficit français est le plus important de la zone euro à 6,1% quand la moyenne des déficits est à 3% cette année.
François Villeroy de Galhau
Absolument et ceci a une conséquence : nous sommes le seul pays de la zone euro dont l'endettement, rapporté au PIB, continue à augmenter, alors qu'il baisse partout ailleurs. Dernière conséquence, la dette nous coûte de plus en plus cher et l'année prochaine, pour la première fois depuis très longtemps, les intérêts de la dette - c'est-à-dire une dépense du passé - vont nous coûter plus cher que le budget de l'Éducation nationale, c'est-à-dire la dépense d'avenir par excellence, pour nos enfants, pour les générations qui viennent.
Raphaël Legendre
Oui, soixante milliards l'année prochaine…
François Villeroy de Galhau
Il faut donc absolument changer le cours, redresser notre trajectoire de finances publiques. Il y a pour cela deux repères. Le premier est l'objectif de revenir à 3% de déficit en 2029. Pourquoi 3% ? Parce que c'est la règle européenne, mais surtout, c'est le seuil pour la France qui nous permet enfin de stabiliser cette fameuse proportion de la dette par rapport au PIB. Et pour 2025, ce sera la tâche du futur Gouvernement, il faut une marche significative. Nous partons de 6,1% en 2024. Michel Barnier avait proposé 5,0%. Ce sera au nouveau Gouvernement de décider, mais il faut un progrès significatif pour asseoir la crédibilité de la France et de la trajectoire vers les 3%.
Laure Closier
Mais la France se sent parfois protégée par la Banque centrale européenne, bien sûr par l'euro, mais aussi par la possibilité de racheter des titres de dette. Christine Lagarde a été très claire à ce niveau-là plusieurs fois. Elle a dit : « On n'est pas là - la Banque centrale - pour racheter les problèmes politiques que certains pays se créent eux-mêmes. ». Est-ce que ça veut dire qu'il y a parfois des choix, des directions sur lesquelles la Banque centrale ne pourrait pas suivre, ne pas nous aider en cas de problème, en cas d'accident de dette ?
François Villeroy de Galhau
La Banque centrale européenne, comme la Banque de France, est indépendante des Gouvernements. C'est même inscrit dans le traité qui a été ratifié par référendum en France, et donc, la Banque centrale n'agit pas en fonction des gouvernements. Il ne faut pas que l'on dise : « Elle monte les taux, c'est pour pénaliser les Gouvernements, ou quand elle les baisse, c'est pour les aider ». La BCE a une boussole, et elle y est fidèle, c'est l'inflation, la stabilité des prix : c'est-à-dire revenir à 2% d'inflation par an, nous y sommes. Quand la Banque centrale a acheté des obligations, dans le passé, c'était parce qu'il y avait une menace de déflation, qui est la maladie symétrique (de l'inflation), dans l'économie, notamment au moment du Covid. Ce n'est pas cela aujourd'hui qui menace.
Laure Closier
Donc, si on a un accident de dette, on se débrouille ? C'est-à-dire des taux qui s'envolent ?
François Villeroy de Galhau
Nous sommes un grand pays souverain : nous avons notre problème de finances publiques, nous en avons aussi la solution. Le redressement est nécessaire et il est possible. Cela suppose un effort juste et partagé par tous sur les dépenses, ce sont les dépenses de l'Etat, les dépenses locales et sociales aussi, et cela veut dire, probablement, certaines hausses d'impôts ciblées. Ciblées, c'est-à-dire qu'elles ne touchent ni les PME, ni les classes moyennes.
Raphaël Legendre
Ça veut dire ciblé sur les plus riches ?
François Villeroy de Galhau
Il y avait un certain nombre de propositions dans le budget de M. Barnier. On verra ce que fera le prochain Gouvernement, mais notre problème budgétaire n'a pas disparu avec la censure, il est très important de s'en souvenir, sinon la censure débouche sur un déni. Le redressement est dans nos mains. Nous sommes un grand pays, et beaucoup de pays autour de nous y ont réussi. Il n'y a pas de raison que nous, Français, n'y arrivions pas.
Raphaël Legendre
Est-ce qu'il est possible, sans toucher les retraites ? C'est la première des dépenses, et de très loin, en France. Là, on va avoir une revalorisation de 2,2 points dès le mois de janvier…
François Villeroy de Galhau
Le rôle de la Banque de France n'est pas de faire ces choix budgétaires, cela appartient au Gouvernement, au Parlement et au débat démocratique. Mais je veux souligner que ce redressement est possible sans toucher à la croissance. C'est important, parce qu'il y a souvent cette crainte : « si on fait le resserrement budgétaire, on va fragiliser la croissance. » Nous n'avons pas ce type d'arbitrage difficile, parce qu'aujourd'hui, le premier ennemi de la croissance est l'incertitude. 86% de nos concitoyens sont inquiets sur la dette aujourd'hui. Si nous restions, par hypothèse, avec notre déficit à 6%, nous augmenterions cette incertitude. Ce qui veut dire moins d'investissement dans les entreprises, moins de consommation des ménages et ça veut dire moins de croissance. A l'inverse, si nous redressons la trajectoire budgétaire, c'est aujourd'hui plutôt favorable à la croissance.
Laure Closier
Vous êtes désormais très suivi par l'écosystème crypto qui écoute vos paroles avec attention. Vous considérez désormais que c'est une sorte d'actif comme les autres, actif risqué évidemment, mais un actif comme les autres. Avez-vous évolué sur cette question ?
François Villeroy de Galhau
Non, nous avons toujours dit, d'abord, que les cryptos ne sont pas des monnaies, ne serait-ce que parce que personne n'est responsable de leur valeur. La Banque de France, la Banque centrale européenne, avec Christine Lagarde, nous sommes responsables de la valeur de l'euro et c'est ce qui inspire confiance. Mais les cryptos sont un actif risqué, c'est-à-dire que ceux qui investissent dans les cryptos, peuvent bien sûr le faire, mais à leurs risques, c'est réservé aux investisseurs avisés. J'en profite pour rappeler une règle de bon sens : si quelqu'un, un jour, vous propose un actif en disant, « Il a un rendement élevé et il n'a aucun risque », fuyez ! C'est la loi la plus ancienne de la finance - cette personne est probablement un incompétent ou un escroc. Après, chacun prend ses responsabilités. Il est très souhaitable de réglementer les cryptos, comme l'a fait l'Union européenne avec le règlement MiCA. Certains acteurs des cryptos eux-mêmes le souhaitent. Il faut des réglementations anti-blanchiment, de protection des consommateurs, etc.
Laure Closier
On ne sera pas décalé avec les Etats-Unis, qui, eux, partent dans l'autre sens ?
François Villeroy de Galhau
C'est un sujet aux États-Unis, vous avez tout à fait raison. Il serait très souhaitable qu'il y ait la même réglementation ou les mêmes principes. Il y a eu des propositions internationales en la matière, du G20 ; l'Europe les a appliquées, ce serait souhaitable aussi aux États-Unis, dans l'intérêt même des investisseurs dans les cryptos.
Mise à jour le 13 Décembre 2024