15/11/2024 | Press release | Distributed by Public on 15/11/2024 21:44
Bien que toutes les nations s'accordent pour affirmer que le terrorisme est un fléau qu'il faut combattre, les membres de l'Organisation des Nations unies (ONU) ne sont toujours pas parvenus à s'entendre sur une définition claire de ce qu'est exactement le terrorisme malgré plus d'un demi-siècle de discussions, soit depuis 1972. Comment expliquer ce paradoxe?
C'est la question explorée par Corentin Sire dans sa thèse de doctorat réalisée sous la codirection des professeurs Anthony Amicelle, de l'École de criminologie de l'Université de Montréal, et Thomas Hippler, de l'Université de Caen Normandie. Le fruit de son analyse a été publié dans la revue Champ pénal=Penal Field.
Le chercheur, qui a commencé à s'intéresser au sujet dès 2016 - dans un contexte traversé par le thème du «terrorisme» -, révèle entre autres que le terme est apparu historiquement dans la France du 18e siècle «par ce qui était jadis formulé comme une insulte permettant de désigner - et de condamner - rétrospectivement l'épisode dit de la Terreur lors de la Révolution française. Et comme toute insulte, sa définition reste fondamentalement subjective».
Une histoire qui remonte à l'entre-deux-guerres
Corentin Sire
Crédit : CourtoisieSelon la littérature que Corentin Sire a scrutée, l'histoire du terrorisme dans le droit international commence en 1919, à la Conférence de Paris, où la formule terrorisme systématique est associée aux crimes de guerre contre les civils.
«Mais c'est surtout un attentat survenu à Marseille en 1934 qui pousse l'ancêtre de l'ONU - la Société des Nations - à s'emparer sérieusement du sujet, indique-t-il. Une définition du terrorisme est bel et bien mise sur papier à la suite de deux conventions internationales, mais les textes n'entreront jamais en vigueur en raison de la Deuxième Guerre mondiale, qui les a relégués au second plan.»
Après 1945, le concept reste en sommeil pendant près de 30 ans à l'ONU. Il refait surface dans les années 1970, principalement dans le contexte des conflits de décolonisation et du conflit israélo-palestinien.
«Trois camps s'opposent alors, soit le bloc occidental, qui veut une action rapide contre le terrorisme sans s'embarrasser de définitions; le bloc non aligné - dont les États arabes -, qui veut distinguer le terrorisme des mouvements de libération nationale; et le bloc de l'Est, qui adopte une position plus ambigüe», poursuit Corentin Sire.
Devant l'impossibilité de s'entendre sur une définition générale, l'ONU adopte une approche plus pragmatique: elle commence à criminaliser à la pièce différents types d'actes violents assimilés à du terrorisme par la voie de conventions spécifiques.
Un concept qui reflète les rapports de force
Les années 1990 marquent un tournant majeur. «Le Conseil de sécurité de l'ONU prend les rênes de l'antiterrorisme onusien et opte pour une nouvelle stratégie: plutôt que de définir le terrorisme, il établit des listes d'acteurs considérés comme terroristes, dit le doctorant de l'UdeM. Cette approche, plus technique et diplomatique, permet d'agir sans avoir besoin d'un consensus sur la définition. Sans définition, la transparence et le respect des droits de la personne par l'antiterrorisme passent cependant au second plan.»
Les attentats du 11 septembre 2001 ont d'ailleurs accéléré cette tendance: l'antiterrorisme devient une obligation pour tous les États, qui doivent élaborer leurs propres instruments de désignation. La coopération entre services de sécurité s'intensifie, notamment par Interpol.
«Le problème, c'est que le prétexte de l'antiterrorisme permet aux pays les plus influents d'imposer leur idée de ce qui relève et ne relève pas du terrorisme, soulève Corentin Sire. L'exemple de la "guerre contre la terreur" menée par les États-Unis illustre bien comment une grande puissance peut parfois dépasser les normes du droit international au nom de l'antiterrorisme.»
Cette situation crée un paradoxe fondamental. Selon lui, l'ONU, qui a été fondée sur les principes d'égalité entre les États et de primauté du droit international, «se retrouve à manier un concept qui reflète et renforce les hiérarchies de l'ordre international».
Vers une approche plus équilibrée?
Face à ces dérives potentielles, des efforts ont été déployés pour redonner un rôle au droit international et à l'Assemblée générale des Nations unies. La Stratégie antiterroriste mondiale des Nations unies, adoptée en 2006 et révisée tous les deux ans, tente d'encadrer l'action antiterroriste internationale. En 2017, le Bureau de lutte contre le terrorisme est créé au sein du Secrétariat de l'ONU.
«Ces développements complexifient l'approche onusienne du terrorisme, mais fournissent aussi un certain cadre, mentionne Corentin Sire. Si une définition universelle reste perçue comme impossible, l'ONU tente au moins de s'assurer que la lutte contre le terrorisme ne conduit pas à violer les principes fondamentaux du droit international. Mais en pratique, l'ONU est bien à la peine pour imposer des bornes à l'antiterrorisme, pratique qui touche à la souveraineté des États.»
Aussi juge-t-il que, lorsqu'un acteur invoque le «terrorisme» pour justifier une action, «il y a toujours matière à se méfier, car tout - y compris le pire - peut être légitimé au nom de la "lutte contre le terrorisme"».