WHO - World Health Organization

01/08/2024 | Press release | Distributed by Public on 02/08/2024 13:04

La poliomyélite à Gaza : qu'est-ce que cela signifie

La semaine dernière, le poliovirus a été détecté dans des échantillons d'eaux usées à Gaza, un évènement alarmant mais peu surprenant compte tenu de l'état de démantèlement des systèmes de santé du territoire après neuf mois de guerre ininterrompus. Dans l'ensemble de la bande de Gaza, plus de 38 000 personnes ont été tuées, 89 000 blessées et plus de 10 000 sont portées disparues. La plupart des hôpitaux ne sont plus en état de fonctionner. Déjà, les maladies diarrhéiques, les infections respiratoires et l'hépatite A, entre autres, y font des ravages. Tous les habitants de Gaza, ou presque, sont confrontés à l'insécurité alimentaire aiguë et à la faim de manière catastrophique, et des milliers d'enfants souffrent de malnutrition, ce qui les rend encore plus vulnérables aux maladies.

La population d'environ 2,3 millions de personnes qui vit sur les 365 kilomètres carrés de la bande de Gaza, est de plus en plus concentrée en raison de l'accès limité à l'eau potable et de la détérioration des conditions sanitaires. Depuis le début du mois de mai, près d'un million de Gazaouis ont été déplacés de Rafah à Khan Younis et Deir el-Balah, où les échantillons contenant le poliovirus ont été prélevés.

Bien qu'aucun cas de poliomyélite n'ait encore été enregistré, faute d'action immédiate, ce n'est qu'une question de temps avant que la maladie n'atteigne les milliers d'enfants qui sont dépourvus de toute protection. Les enfants de moins de cinq ans sont exposés au risque, et en particulier les plus jeunes, de moins de deux ans, car beaucoup n'ont pas été vaccinés au cours des neuf mois de conflit.

C'est pourquoi l'Organisation mondiale de la Santé envoie à Gaza plus d'un million de vaccins contre la poliomyélite qui seront administrés dans les prochaines semaines pour éviter que les enfants ne soient frappés par la maladie. Cependant, en l'absence d'un cessez-le-feu immédiat et d'une accélération considérable de l'aide humanitaire, notamment une campagne de vaccination ciblant les jeunes enfants, des personnes continueront de mourir de maladies évitables et de traumatismes pouvant être soignés.

À maintes reprises, nous avons vu la poliomyélite prospérer dans des endroits touchés par les conflits et l'instabilité. En 2017, dans la Syrie déchirée par la guerre, une épidémie de variant du poliovirus - une forme mutée du virus sauvage qui peut se propager dans les populations insuffisamment immunisées - a conduit à la paralysie de 74 enfants. Aujourd'hui, en Somalie, une guerre civile qui dure depuis une décennie a entraîné la plus longue chaîne ininterrompue de transmission du variant du poliovirus au monde, celui-ci étant en circulation depuis 2017. En Afghanistan et au Pakistan, les deux derniers pays où le poliovirus sauvage paralyse encore les enfants, les crises humanitaires et l'insécurité persistante ont empêché que le virus soit définitivement éradiqué dans le monde entier.

Aujourd'hui, les enfants pris au piège à Gaza sont confrontés à la même menace et n'ont nulle part où aller. Avant le conflit, la couverture vaccinale était de 99 %. Aujourd'hui, ce taux est tombé à 86 %, un niveau dangereux car il existe des poches de population où les enfants ne sont pas vaccinés, et où le virus peut circuler. La dévastation du système de santé, l'insécurité, la destruction des infrastructures, les déplacements massifs de population et la pénurie de fournitures médicales ont empêché les enfants de recevoir de nombreux vaccins vitaux.

Seuls 16 des 36 hôpitaux de Gaza fonctionnent - avec des services réduits - et moins de la moitié des établissements de soins de santé primaires sont opérationnels. Parallèlement, 70 % de toutes les pompes à eaux usées de Gaza ont été détruites et pas une seule station d'épuration des eaux usées ne fonctionne. Ces conditions constituent un terrain idéal pour la propagation des maladies.

Dans ce contexte désastreux, les agents de santé risquent leur vie pour soigner les gens, qu'il s'agisse de travailler sans électricité ou d'analyser des échantillons d'eaux usées pour détecter des maladies mortelles. Le fait que la poliomyélite ait été détectée à Gaza avant qu'une épidémie de poliomyélite paralytique ne se déclare à grande échelle témoigne de leurs efforts incroyables, étant donné que le système de surveillance de la maladie a été considérablement réduit en raison de l'insécurité.

Depuis plus de trois décennies, l'Initiative mondiale pour l'éradication de la poliomyélite (IMEP) - composée du Rotary International, des Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis d'Amérique, de l'OMS, de l'UNICEF, de l'Alliance Gavi, et de la Fondation Bill et Melinda Gates - a aidé les autorités sanitaires du monde entier à mettre en place et à maintenir des systèmes de surveillance des maladies résilients capables de détecter le virus, ainsi que d'autres menaces sanitaires émergentes, quelles que soient les circonstances.

En Syrie, ces systèmes ont permis d'identifier et d'arrêter l'épidémie de variant du poliovirus en 2017 après une poignée de campagnes de vaccination porte-à-porte. L'année dernière, les activités de surveillance en Ukraine ont révélé une épidémie de variant du poliovirus dans le contexte d'une guerre en cours. Deux enfants ont été paralysés avant qu'une riposte vaccinale rapide arrête le virus.

Face aux dangers et aux difficultés considérables, la communauté internationale a la responsabilité de ne laisser personne de côté et de donner la priorité à la santé et au bien-être. Cette situation n'est pas sans précédent : lors de la guerre civile au Salvador dans les années 1980 ou du conflit dans la région soudanaise du Darfour au début des années 2000, des cessez-le-feu appelés « jours de tranquillité » ont été négociés pour mettre les guerres en pause et garantir que les vaccins vitaux parviennent aux communautés piégées dans des zones inaccessibles et touchées par les conflits.

Aujourd'hui, la détection de la poliomyélite à Gaza est un nouveau rappel qui donne à réfléchir sur les conditions désastreuses auxquelles les gens sont confrontés. Non seulement la poursuite du conflit ne fera pas qu'aggraver le nombre de morts sur le territoire, mais elle entravera aussi les efforts visant à identifier les menaces sanitaires évitables comme la poliomyélite, et à y répondre. Alors que des efforts sont immédiatement mis en œuvre pour vacciner chaque enfant contre la poliomyélite, un cessez-le-feu et la circulation fluide de l'aide sont en fin de compte les seuls moyens concrets de protéger les populations et de prévenir l'explosion d'une épidémie.

Le monde nous regarde. La grande question est : quand va-t-il agir ?