11/05/2024 | Press release | Archived content
Les autorités au Yémen ne luttent pas contre le chantage et le harcèlement fondés sur le genre sur Facebook, ne protègent pas le droit des femmes à la vie privée dans les espaces en ligne et n'apportent pas de réparations aux victimes, a déclaré Amnesty International. Elle a ajouté que ces violences s'inscrivent dans le contexte d'absence de mesures préventives suffisantes de la part de Meta en matière de protection en ligne.
Amnesty International a examiné les cas de sept femmes soumises à des violences fondées sur le genre facilitées par la technologie sur Facebook entre 2019 et 2023, dans les gouvernorats d'Aden, de Taizz et de Sanaa. Ces femmes ont été victimes de chantage et de harcèlement en ligne impliquant le partage non consenti d'images ou d'informations sensibles, en violation de leur droit à la vie privée. Aucune de ces femmes ne savait comment déposer une plainte sur Facebook pour faire supprimer les contenus abusifs.
« Les femmes au Yémen sont depuis longtemps soumises à une discrimination systémique et à une violence endémique qui ont des conséquences terribles sur leur vie. À cette situation s'ajoute désormais la violence sexiste en ligne, contre laquelle les autorités n'agissent pas. Les autorités yéménites, y compris le gouvernement, les autorités houthies de facto et le Conseil de transition du Sud doivent prendre rapidement des mesures concrètes pour lutter contre la violence liée au genre en ligne, dans le cadre de l'élimination de toutes les formes de discrimination et de violence à l'égard des femmes, a déclaré Diala Haidar, chercheuse sur le Yémen à Amnesty International.
« Meta doit également prendre des mesures afin de sensibiliser davantage ses utilisateurs et utilisatrices à la sécurité personnelle et à la protection de la vie privée sur Facebook sur tous les marchés, et notamment au Yémen, et veiller à ce que les mécanismes de signalement soient faciles d'accès et prennent en compte les différences culturelles. »
Six des sept femmes avec lesquelles Amnesty International s'est entretenue avaient signalé les violences subies à la police, malgré les nombreux obstacles érigés sur la voie de la justice, notamment la crainte d'être humiliées ou de subir des violences de la part de membres de leur famille, la stigmatisation et les demandes de pots-de-vin de représentants des autorités pour accepter de traiter leur affaire. Sur les six plaintes déposées auprès de la police, quatre ont abouti à un procès, mais seul un auteur des faits a été déclaré coupable et condamné à verser une indemnisation à la victime.
Amnesty International a adressé des courriers aux autorités yéménites les 13 et 14 août, et à Meta le 15 août 2024, sollicitant une réponse à ses conclusions et recommandations. Le 29 août, Meta a fait savoir qu'elle n'était pas en mesure de répondre dans les délais impartis et a communiqué des liens vers les politiques de l'entreprise en accès public. Au moment de la publication de ce document, les autorités yéménites n'avaient toujours pas répondu.
Des préjudices multiples : « Ma vie a été complètement détruite »
La plupart des femmes ont été ciblées par une personne qu'elles connaissaient, qu'il s'agisse d'un ami, d'un camarade de classe ou de leur partenaire actuel ou ancien. Les agresseurs ont cherché à leur extorquer de l'argent, à les contraindre à une relation intime ou à les empêcher de dénoncer les violences en ligne.
Deux des femmes interrogées ont été victimes de harcèlement et cinq de chantage en ligne. Les auteurs ont menacé de publier ou de partager sur Facebook des photos où on les voyait avec ou sans hijab ou niqab (couvrant le visage), révélant des parties de leur corps, ou des images fabriquées les montrant en compagnie d'hommes avec lesquels elles n'étaient pas apparentées. Dans le contexte yéménite, de telles images sont considérées comme « honteuses » et font courir à ces femmes des risques pour leur sécurité.
L'une des victimes, qui tenait un salon de beauté dans le gouvernorat d'Aden, a déclaré à Amnesty International :
« Il [le maître chanteur] a créé des pages Facebook et a publié mes photos et des photos fabriquées. À partir de ce jour-là, ma vie a été complètement détruite. J'ai débuté une prise en charge psychologique et, bien sûr, mes relations avec la famille de mon mari, ma famille et la plupart de mes amis ont été détruites. Je ne suis pas retournée à mon travail… Je suis devenue une paria de la société et ma carrière, que j'avais construite pendant 11 ans, a été réduite à néant. »
Plusieurs femmes ont déclaré qu'elles avaient trop peur pour informer leur famille des violences subies, craignant la honte, la réprobation et des violences physiques ou émotionnelles de la part de leurs proches.
Les sept femmes interrogées ont toutes fait état d'un grave préjudice psychologique, notamment caractérisé par la peur, l'angoisse, la paranoïa, la dépression, l'isolement et les pensées suicidaires. L'une d'entre elles a tenté de se suicider à la suite des violences subies.
Les obstacles sur la voie de la justice
Les victimes interrogées par Amnesty International sont de rares exemples de femmes qui ont osé porter plainte, malgré la culture de la honte et de la culpabilisation qui prévaut au Yémen et qui dissuade généralement les femmes d'intenter une action en justice contre des auteurs de violences.
Bien que certains gouvernorats disposent d'unités spécialisées dans la cybercriminalité, notamment ceux de Sanaa, d'Aden, de l'Hadramaout et de Taizz, seule une femme interrogée en connaissait l'existence.
Selon deux victimes ayant porté plainte dans les gouvernorats de Taizz et d'Aden, les policiers et les membres du ministère public les ont blâmées pour avoir été ciblées. L'une d'entre elles a expliqué que le procureur l'a insultée et lui a reproché de s'être exposée au chantage, en mentionnant à titre de preuves son abaya ornée et ses ongles longs.
Trois victimes ont déclaré qu'elles ont dû verser des pots-de-vin aux policiers et aux procureurs pour qu'ils acceptent d'enquêter sur les plaintes qu'elles avaient déposées.
Le Yémen ne dispose pas d'un cadre législatif global ni de mesures politiques permettant de reconnaître, de prévenir, d'enquêter et de traiter toutes les formes de violences fondées sur le genre facilitées par la technologie. Les procureurs et les juges ont en fait recours à des dispositions du Code pénal qui ne font pas spécifiquement référence aux infractions en ligne, ce qui complique les poursuites et donne aux juges une plus grande latitude pour classer ces affaires.
Les lacunes de Meta face aux violences fondées sur le genre facilitées par la technologie
Aucune des femmes interrogées ne savait comment signaler les publications abusives ou les faux comptes sur Facebook. Elles se sont donc tournées vers SANAD, une initiative locale de défense des droits numériques, pour les aider à supprimer ces contenus de Facebook.
SANAD les a aidées à les supprimer. Son cofondateur, Fahmi al Baheth, a expliqué que traiter les plaintes peut prendre du temps, en partie à cause du manque de compréhension culturelle, en particulier en ce qui concerne les sujets sensibles tels que les photos de femmes sans leur hijab :
« Même si nous signalons un cas à Meta, son équipe nous répond sans tenir compte du contexte yéménite. Ils ne comprennent pas que les images mises en ligne de femmes sans hijab peuvent leur créer de gros problèmes. »
« En vertu des normes internationales relatives aux droits humains, notamment des Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, Meta est tenue de respecter les droits fondamentaux au niveau mondial. Elle doit donner aux utilisateurs et utilisatrices des outils robustes de protection de la vie privée et adapter ses politiques pour tenir compte des contextes culturels, notamment en renforçant l'expertise spécifique à chaque pays en matière de modération de contenu et en favorisant une véritable coopération avec les voix de la société civile au Yémen », a déclaré Diala Haidar.
Complément d'information
Entre 2023 et avril 2024, YODET, l'Organisation yéménite pour le développement et l'échange de technologies, a enregistré 115 cas de chantage en ligne, ciblant principalement des femmes. Au milieu de l'année 2023, SANAD a indiqué recevoir au moins quatre cas de chantage en ligne par jour, 95 % des victimes étant des femmes.
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