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07/04/2024 | News release | Distributed by Public on 07/04/2024 01:52

Obésité : la piste des neurones « fantômes »

Dans le cerveau, l'hypothalamus est une petite glande qui joue un rôle crucial dans de nombreuses fonctions physiologiques. Des chercheurs y ont découvert des neurones capables de devenir indétectables et de changer d'identité afin de s'adapter aux facteurs environnementaux, notamment nutritionnels…

L'hypothalamus est une petite structure nichée au cœur du cerveau, constituée de plusieurs types de neurones très différents sur le plan fonctionnel, spatial et moléculaire. Chacun d'entre eux a une fonction qui lui a été assignée au cours de la vie embryonnaire. Mais en y regardant de plus près, cette hétérogénéité semble modifiée en situation d'obésité : certains neurones pourraient-ils dévier de leurs fonctions préprogrammées selon les conditions métaboliques ? Afin de le savoir, une équipe dirigée par Carmelo Quarta, chercheur Insermau Neurocentre Mangendie à Bordeaux, a étudié la variabilité des propriétés des neurones hypothalamiques dans un modèle de souris adultes soumises à différents régimes alimentaires. Les scientifiques se sont plus particulièrement penchés sur les neurones à pro-opiomélanocortine (POMC), un peptideimportant pour la régulation de l'appétit et de l'équilibre énergétique. Ils ont ainsi découvert que certaines de ces cellules nerveuses deviennent « fantômes » chez les animaux qui suivent un régime obésogène - lequel entraîne un déséquilibre énergétique (apport nutritionnel trop important au regard des dépenses énergétiques).

Des marqueurs fluorescents pour traquer les fantômes

« Durant la vie embryonnaire, des facteurs génétiques ou environnementaux peuvent orienter le devenir des neurones cérébraux », rappelle Carmelo Quarta. C'est notamment le cas des neurones à POMC, qui peuvent évoluer vers des sous-types cellulaires différents « À l'âge adulte, en revanche, il est admis que cette évolution n'est pas possible : les neurones à POMC peuvent adapter le degré d'expression de leurs fonctions, mais ils conserveraient la machinerie moléculaire spécifique qui leur a été initialement attribuée. Pourtant, nos travaux menés chez des souris adultes nourries avec un régime riche en graisses montrent qu'une partie de leurs neurones POMC semble avoir disparu. Rien n'indique qu'ils soient morts, mais on ne les observe plus. » Pour comprendre le devenir de ces cellules devenues invisibles, le chercheur a utilisé des marqueurs fluorescents qui se fixent spécifiquement et de manière permanente aux neurones POMC. « Ainsi, une cellule qui aurait perdu l'expression de ce peptide reste visualisable et localisable par microscopie de fluorescence. » C'est ainsi qu'il a pu résoudre le mystère : grâce à ce marquage particulier, le scientifique et son équipe ont remis en lumière ces neurones devenus fantômes. Et il s'avère que leur nombre est plus élevé chez les souris obèses que chez les souris normalement nourries.

D'évolutions fonctionnelles à la mort neuronale

Le panel de gènes exprimés par ce nouveau groupe de neurones est totalement différent de ceux que les cellules POMC expriment normalement. Carmelo Quarta veut en étudier les fonctions, notamment pour savoir si elles sont une cause ou une conséquence du déséquilibre énergétique des souris. « Il faut savoir que les neurones POMC sont situés dans la zone de l'hypothalamus la plus en contact avec les vaisseaux sanguins provenant de la périphérie. Ils sont donc en première ligne face aux anomalies et aux déséquilibres métaboliques qui parviennent jusqu'au cerveau, ce qui pourrait être l'une des raisons de leur adaptation. »

Le scientifique espère que les prochains travaux aideront également à comprendre les liens entre la capacité des neurones à changer de « rôle » (la plasticité neuronale) et la mortalité des cellules hypothalamiques que l'on observe après un déséquilibre énergétique chronique : « Si cette plasticité n'est pas réversible et qu'elle est une étape préalable à la mortalité neuronale, ces changements d'identité pourraient expliquer pourquoi les patients en situation d'obésité ne guérissent pas définitivement, même après une perte de poids drastique et durable sous médicaments anti-obésité. »Cependant, d'autres études sont nécessaires pour évaluer si le phénomène étudié chez la souris peut être transposé à l'humain.

Le chercheur souhaite enfin étudier ce qu'il se passe avec d'autres neurones hypothalamiques impliqués dans la régulation de la prise alimentaire. Il s'intéresse ainsi aux neurones à kisspeptine et à ceux à AgRP : « Nous souhaitons savoir si ces cellules, formées durant la vie embryonnaire à partir du même précurseur que les neurones à POMC, peuvent avoir le même type de comportement lorsque ces derniers sont exposés à une situation métabolique défavorable. Si c'est le cas, cela suggère que ces neurones pourraient avoir une mémoire qui leur permet de revenir à un état initial avant d'adopter de nouvelles fonctions selon les signaux biologiques reçus. » Cela renforcerait l'idée selon laquelle certains neurones matures du cerveau peuvent perdre ou modifier leur identité au cours de l'âge adulte. « Avec les traceurs fluorescents,nous disposerions d'un moyen pour comprendre cette plasticité cérébrale, et pour découvrir comment programmer des fonctions spécifiques dans certains neurones, à des fins thérapeutiques. »

Carmelo Quarta est chercheur Inserm dans l'équipe Physiopathologie de l'équilibre énergétique et obésité au Neurocentre Mangendie (unité 1215 Inserm/Université de Bordeaux), à Bordeaux.

Source : S. Leon et coll. Single cell tracing of Pomc neurons reveals recruitment of "Ghost" subtypes with atypical identity in a mouse model of obesity. Nat Commun, 24 avril 2024 ; doi : 10.1038/s41467-024-47877-2

Autrice : C. G.

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