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09/17/2024 | Press release | Distributed by Public on 09/18/2024 00:25

Patrimoine 17/09/2024 Exil fiscal : un eldorado en trompe-l'oeil ? La crise économique et budgétaire que traverse notre pays, plongé dans un contexte politique incertain suite[...]

L'assurance-vie occupe une place centrale dans l'organisation patrimoniale, notamment du fait de sa spécificité en matière de transmission. Le souscripteur du contrat peut librement désigner le(s) bénéficiaire(s) de son choix, à qui les capitaux seront payés à son décès selon un régime spécifique et dérogatoire, sans entrer dans l'actif successoral. Toutefois, si un héritier réservataire (enfants ou petits-enfants si les parents sont décédés, conjoint survivant en l'absence d'enfant) se considère lésé car le montant des primes versées en assurance-vie lui paraît excessif, alors il peut demander leur réduction. Il lui incombe alors d'apporter la preuve du caractère excessif des primes. Un arrêt récent de la cour d'appel de Lyon* est venu rappeler les critères d'appréciation posés par la jurisprudence. Nous vous proposons d'en analyser les contours.

Pour éviter qu'un souscripteur ne soustraie l'essentiel de son patrimoine et ainsi déshérite ses héritiers réservataires par l'intermédiaire de l'assurance-vie, le Code des assurances prévoit un garde-fou. Il s'agit des « primes manifestement exagérées » (article L132-13, alinéa 2 du Code des assurances**). Toutefois, les indices permettant d'établir le caractère exagéré d'une prime ne sont définis par aucun texte. Il convient donc de se référer à la jurisprudence pour déterminer des éléments d'appréciation. Les arrêts de la chambre mixte du 23 novembre 2004 sont les premiers arrêts essentiels en la matière, fixant des critères d'analyse objectifs / quantitatifs qui s'apprécient au moment du versement des primes (et non du dénouement du contrat).

L'âge du souscripteur au jour du versement des primes :

Concrètement, si le souscripteur verse des primes peu de temps avant de décéder (à condition d'être assez âgé au moment du versement), celles-ci peuvent être remises en cause. Par exemple, une prime de 107 000€ versée par une souscriptrice âgée de 87 ans, dont les revenus annuels à l'époque du versement n'excédaient pas 12 000€, a été considérée comme manifestement exagérée***.

Sa situation familiale et patrimoniale :

Si le bénéficiaire désigné est une personne autre que les héritiers légaux, le doute peut s'installer. En revanche, l'atteinte à la réserve n'est pas un critère de l'excès manifeste. Par ailleurs, il convient de comparer le montant des primes versées par rapport au patrimoine et aux revenus du souscripteur. Le versement ne doit pas conduire à un appauvrissement manifeste du souscripteur.

Dans un arrêt rendu le 11 juin 2024 par la cour d'appel de Lyon, le caractère manifestement exagéré des primes versées a été écarté, alors même que les versements réguliers représentaient environ 37% des revenus du souscripteur.

En l'espèce, Monsieur Y décède, laissant pour recueillir sa succession, son épouse de secondes noces et ses six enfants issus d'une première union. Il avait souscrit un contrat d'assurance-vie en 2006, désignant comme bénéficiaire son épouse. L'un de ses enfants demande le rapport à la succession des primes versées sur le contrat d'assurance-vie, invoquant leur caractère manifestement excessif.

Chaque période de versements est analysée :

- De 2006 à 2010 : versements d'environ 45 K€ sur la période et en moyenne de 900€ par mois. Les juges ont écarté le caractère exagéré au regard des revenus mensuels du souscripteur de 2 450€ et alors qu'il était propriétaire de sa résidence principale.

- Entre 2010 et 2011 : versements ponctuels pour un montant d'environ 98 K€ à la suite de ventes immobilières. La somme n'est pas considérée comme préjudiciable au regard de sa situation familiale et patrimoniale. Par ailleurs, le souscripteur est décédé plus de huit ans après ce versement.

- De 2011 à 2017 : diminution des revenus mensuels, ramenés à 1 450€ mais versements sur cette période de la somme totale d'environ 6 K€. Là encore, le montant versé ne peut pas être considéré comme manifestement exagéré sur la période considérée.

La cour ajoute que ces opérations n'ont nullement eu pour effet de déposséder Monsieur Y de son patrimoine puisque celui-ci était propriétaire d'un bien immobilier dont la valeur à l'époque des versements n'est pas connue mais qui sera revendu par les héritiers en 2022 au prix de 400 K€ et de liquidités de l'ordre de 50 K€. Par ailleurs, le souscripteur pouvait à tout moment user de la faculté de rachats prévue au contrat.

En effet, en 2007, la jurisprudence a ajouté un nouveau critère, cette fois-ci plus subjectif et qualitatif, qui s'apprécie toujours au jour du versement des primes.

L'utilité de l'opération pour le souscripteur :

Le contrat d'assurance-vie doit présenter une utilité économique propre pour le souscripteur, autre que la seule transmission d'un capital aux bénéficiaires désignés. Par exemple, se constituer une épargne pour une période à venir et/ou disposer de revenus de placements long terme pour financer son train de vie. Il est généralement admis que la mise en place de rachats périodiques permet de valider ce critère, les sommes rachetées réintégrant le patrimoine successoral du souscripteur.

Dans l'arrêt rendu par la cour d'appel de Lyon, les juges du fond ont considéré que les primes analysées individuellement et au jour de leurs versements n'étaient pas constitutives d'une exagération au regard de l'âge du souscripteur, de sa situation familiale et patrimoniale. Par ailleurs, ils soulignent la faculté de rachat pour le souscripteur, traduisant une possible utilité. Cette décision illustre la complexité liée aux démonstrations pratiques des primes manifestement exagérées. La preuve, qui incombe aux héritiers requérants, n'est pas toujours facile à rapporter car elle suppose qu'ils soient en mesure de reconstituer le patrimoine et/ou les revenus du souscripteur à l'époque du versement des primes. Par ailleurs, le critère d'utilité du contrat pour le souscripteur semble être habituellement rempli par sa faculté de rachat.

Caroline Mignaval
Ingénieur Patrimonial
Rédigé le 17 septembre 2024

* CA Lyon, 11 juin 2024, °22/02710

** Article L 132-13, alinéa 2 du Code des assurances : le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celle de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.

*** CA Paris 20-5-2009 n° 08-1365