11/22/2024 | Press release | Distributed by Public on 11/22/2024 07:01
Une interdiction de manifester, plus de pouvoir pour le gouvernement et la police, moins de contrôle de la part des juges... Les projets de l'Arizona pour la Justice sont une attaque contre nos droits démocratiques.
Vendredi 22 novembre 2024
Alors que les activistes font l'objet d'une répression croissante dans le monde entier, les plans sur la table des négociations pour un gouvernement fédéral « Arizona » entre la N-VA, le MR, le CD&V, Les Engagés et Vooruit, indiquent une volonté de restreindre davantage le droit de manifester en Belgique également. Ce n'est pas une coïncidence : un gouvernement qui prévoit un démantèlement social anticipe aussi les protestations et prévoit de quoi les étouffer dans l'oeuf.
En 2023, un large front démocratique composé des syndicats, de la société civile et de nombreuses associations, relayé au parlement par le PTB, avait réussi à bloquer le projet de loi anti-manifestation porté par le précédent gouvernement. Mais les menaces sur nos libertés démocratiques reviennent à la charge.
Nous contribuerons à l'exercice d'un droit de manifester plein et entier en permettant aux juges d'exclure les émeutiers de manifestations par le biais d'une interdiction judiciaire.1
(extrait du plan De Wever-Bouchez sur la Justice)
Fin 2023, le gouvernement fédéral a retiré l'introduction d'une interdiction de manifester d'un projet de loi du ministre de la Justice de l'époque, Vincent Van Quickenborne (Open Vld). Ce résultat est le fruit de six mois de lutte menée par un front uni élargi de syndicats, d'organisations de la société civile (telles que Greenpeace et Amnesty International), de juristes et d'universitaires. Une « manifestation pour le droit de manifester » réunissant 10 000 participants a finalement fait la différence.
Mais alors que le gouvernement Vivaldi est revenu sur ses pas, les négociateurs de l'Arizona veulent aujourd'hui faire passer la mesure malgré tout. Un journal parle du « retour de l'interdiction de manifester ».
L'interdiction de manifester signifie que les juges peuvent prononcer une nouvelle peine, en plus des peines existantes (amende, travail d'intérêt général, emprisonnement), à savoir l'interdiction de participer à des manifestations. La proposition du ministre Van Quickenborne prévoyait que cette interdiction durerait de trois à six ans.
La mesure est présentée officiellement comme un moyen d'empêcher des casseurs de participer aux manifestations. Cependant, il existe déjà suffisamment de moyens de punir le vandalisme ou la violence dans le droit pénal actuel. Les fauteurs de troubles ne bénéficient d'aucune impunité à l'heure actuelle.
Il n'est pas non plus vrai qu'il y aurait une augmentation des incidents violents lors des manifestations. La véritable raison est donc à chercher ailleurs.
En réalité, l'interdiction de manifester est exactement ce à quoi elle ressemble : la limitation du droit constitutionnel à la liberté d'expression. La seule « valeur ajoutée » qu'elle offrirait par rapport à la législation actuelle est que les gens ne pourraient plus manifester contre les autorités pendant une longue période. Il s'agit donc d'une mesure clairement antidémocratique. L'Institut fédéral des droits humains a d'ailleurs émis un avis négatif sur la mesure et des organisations telles que la Ligue des droits humains et Amnesty International ont contribué à lancer un mouvement d'opposition.
En outre, les syndicats craignent que la loi ne soit finalement aussi appliquée aux piquets de grève. En effet, l'expérience montre que, lorsque les conflits sociaux prennent de l'ampleur, les lois existantes peuvent être remodelées pour étouffer le droit de grève.
Quand le Parlement avait introduit l'interdiction de l'entrave méchante à la circulation (article 406) dans les années 1960, on nous avait dit qu'il ne serait jamais utilisé contre les grèves. Jusqu'à ce que des juges condamnent deux dirigeants de la FGTB en vertu de cette loi il y a quelques années.
En 2023, Delhaize a même trouvé plusieurs juges prêts à subordonner le droit de grève au droit commercial.
Toujours en 2023, des militants de Greenpeace ont été condamnés pour une action pacifique dans le port de Zeebrugge.
Le mouvement de solidarité pour la Palestine s'inquiète des projets de M. Bouchez, qui a récemment déclaré : « Si les bourgmestres ne prennent pas leurs responsabilités, il y aura la possibilité de se substituer à eux pour interdire certains rassemblements. Il n'est plus question à Bruxelles d'avoir des manifestations avec des mecs en keffieh qui cachent l'intégralité de leur visage et qui chantent "from the river to the sea". ».2 Les militants et la société civile craignent une nouvelle répression des manifestations.
Dans toute l'Europe, le droit de manifester est mis sous pression. Dans la France du président Macron, en plus des violences policières systématiques, une interdiction de manifester a été introduite pour réprimer le mouvement des Gilets jaunes.
En 2023, le gouvernement français a même imposé une interdiction totale des manifestations de soutien au peuple palestinien.
L'Allemagne a fait pareil : deux États fédérés ont récemment adopté des lois qui, selon Amnesty International, criminalisent les actions pacifiques.
En Italie, le gouvernement de la Première ministre Giorgia Meloni introduit des lois qui imposent de lourdes amendes et condamnent jusqu'à deux ans de prison ceux qui organisent des manifestations sans l'autorisation du gouvernement.
Cette tendance ne tombe pas du ciel. L'expérience passée - en Grande-Bretagne notamment - montre que le droit de manifester et le droit de grève sont souvent restreints pour briser l'opposition à des mesures gouvernementales impopulaires.
Le fait que Bart De Wever et Georges-Louis Bouchez veuillent aujourd'hui étendre l'arsenal répressif à l'interdiction des manifestations ne peut être dissocié des attaques qu'ils préparent contre nos salaires, nos pensions, nos conditions de travail et nos services publics, ainsi que de leurs plans d'augmentation des dépenses militaires et de militarisation accrue de notre politique étrangère.
La tendance à l'intensification de la répression se reflète également dans les tentatives d'attaquer la séparation des pouvoirs, en mettant plus de pouvoir entre les mains de l'exécutif - c'est-à-dire le gouvernement et les forces de l'ordre.
Le rôle du juge d'instruction est particulièrement menacé. Or il s'agit du juge dont la tâche est d'assurer la transparence et de contrôler la légalité des procédures d'enquête de la police, des services de sécurité et du ministère public.
En 2017, le ministre de la Justice de l'époque, Koen Geens (cd&v), avait déjà proposé de « moderniser » la procédure pénale en réduisant considérablement les pouvoirs du juge d'instruction. Le projet de loi a été rejeté après une forte mobilisation des juristes, des avocats et des magistrats.
Dans le document du groupe de travail « Justice » des négociateurs de l'Arizona, la proposition de transférer les dossiers et les pouvoirs du juge d'instruction (judiciaire) au parquet (exécutif) est remis sur la table.
Dans une démocratie, le contrôle par un juge d'instruction est un mécanisme indispensable pour empêcher les pouvoirs exécutifs d'abuser de leurs pouvoirs.
Il faut dire que l'enjeu est de taille : la police a le monopole de la violence, la sûreté de l'État peut avoir recours à des méthodes d'enquête secrètes, le ministère public peut ordonner des poursuites judiciaires, etc. Il est important qu'ils appliquent ces pouvoirs exceptionnels strictement dans les limites de ce que la loi permet. Sinon, c'est la porte ouverte à l'arbitraire et l'abus de pouvoir.
Le fil conducteur du discours de la N-VA et du MR, c'est l'intensification de la répression et la diminution des contrôles afin que le gouvernement puisse faire ce qu'il veut. Dans la note de travail « Sécurité », on peut également lire, entre autres, la proposition de concentrer plus de pouvoir aux mains d'un unique « superministre » de la Sécurité.
Un autre débat démocratique qui s'est intensifié ces dernières années et celui sur la justice de classe. Plusieurs facteurs font que la position sociale de quelqu'un a une grande influence sur ses chances dans le système judiciaire : le coût de l'assistance juridique et des procédures judiciaires, la langue, l'inaccessibilité des tribunaux, les règles du jeu inégales (telles que la « loi sur la transaction pénale » qui permet à ceux qui en ont les moyens - les ultra-riches et les multinationales - d'« acheter » son procès), etc. Un autre facteur concerne le faible taux de participation des citoyens à la justice. Celle-ci reste un monde élitiste inaccessible aux gens ordinaires.
Si cela ne tenait qu'à la N-VA et au MR, les dernières formes de participation citoyenne au système juridique belge devraient également disparaître. Ils veulent que les jurys populaires ne soient plus autorisés dans les procès sur le terrorisme. Le rôle du jury populaire a été débattu à plusieurs reprises au cours des dernières législatures, mais les tentatives visant à abolir ou à limiter considérablement la Cour d'assises (un tribunal doté d'un jury populaire qui statue sur les crimes graves) se sont toujours heurtées à la résistance du monde juridique.
De Wever et Bouchez justifient leur proposition en affirmant que la justice serait « trop complexe » pour les citoyens ordinaires. C'est le monde à l'envers ! Ce sont souvent des affaires à forte résonance sociale qui passent aux assises. Il suffit de penser à l'affaire Dutroux, au procès sur le génocide rwandais ou encore au procès sur les attentats terroristes du 22 mars 2016.
Il faut au contraire rapprocher les citoyens et la justice. Que le code et les procédures juridiques soient compliqués et rédigés dans un langage impénétrable ne sont pas une loi de la nature. De la même façon, il n'y a aucune raison que les citoyens ne soient pas mieux informés sur le fonctionnement de la justice.
Finalement, il s'agit d'une question démocratique : la justice doit-elle rester l'apanage d'un petit groupe, ou la population doit-elle aussi avoir voix au chapitre ?
En outre, la N-VA et le MR veulent explorer la « possibilité d'introduire le tribunal unique ». En d'autres termes, ils veulent fusionner les tribunaux de première instance, les tribunaux de commerce, les tribunaux du travail, les tribunaux de la justice de paix et les tribunaux de police en un tribunal unique, dirigé par un unique chef de corps. Un modèle unique comme ce dernier se heurterait aux spécificités des différentes formes de tribunaux et risquerait de créer plus de confusion que d'efficacité.
En particulier, celui-ci pourrait compromettre une caractéristique unique aux tribunaux du travail, à savoir le recours à des jurés. Il s'agit d'ouvriers, d'employés, d'employeurs ou d'indépendants qui siègent aux côtés de magistrats professionnels dans le cadre de litiges de travail. Ils sont nommés par les syndicats, les associations professionnelles d'indépendants et les organisations patronales. Leur expérience pratique dans les entreprises aide le tribunal à évaluer correctement les affaires.
Dans un communiqué de presse, le Conseil national du travail a exprimé son inquiétude quant au projet de l'Arizona de transformer le tribunal du travail en un tribunal unitaire : « Le Conseil considère que les juridictions du travail et auditorats (généraux) du travail spécialisés et autonomes ont prouvé leur qualité et leur valeur : il n'y a pratiquement pas d'arriéré judiciaire et une administration de la justice de haute qualité est garantie pour les justiciables. (...) Les conventions collectives de travail (et notamment celles du Conseil national du Travail) font également partie des règles qui sont appliquées par les juridictions du travail. C'est une raison supplémentaire pour avoir des tribunaux spécialisés, avec des juges non professionnels, qui appartiennent aux organisations qui ont été associées à l'élaboration de ces règles, et qui peuvent contribuer à leur application correcte. »3
La justice souffre d'un manque de moyens depuis des années. Les tribunaux ferment, les postes de magistrats ne sont pas pourvus et l'arriéré judiciaire augmente. Pour les gouvernements successifs, la valorisation du rôle démocratique du pouvoir judiciaire et la protection des droits de la défense ne constituent pas une priorité.
Pour la droite, la justice ne sert qu'à prononcer des peines, et non à contrôler le pouvoir exécutif ou à garantir un procès équitable à chacun.
La séparation des pouvoirs est un pilier de l'État de droit. Toute tentative visant à rendre la justice dépendante de la politique ou des services de police constitue une menace pour nos droits démocratiques.
Si le pouvoir judiciaire doit être soumis à quelqu'un, c'est à l'ensemble de la population, par le biais de mesures démocratiques : la représentation de citoyens ordinaires dans les plus hauts organes du système judiciaire (au sein du Conseil supérieur de la justice, par exemple), la généralisation du jury populaire, la généralisation de juges non professionnels dans tous types de tribunaux, etc.
Pour rétablir le fonctionnement démocratique de la justice, il ne convient pas d'accentuer le contrôle d'en-haut, mais d'augmenter la participation de la base.
La lutte pour le droit de manifester est étroitement liée à la lutte contre le démantèlement social que prévoit le plan De Wever-Bouchez. Tous nos droits sociaux, nous les avons acquis dans la rue, en manifestant, en faisant grève et en exerçant une pression depuis la base. C'est aussi le cas des droits démocratiques comme le droit de vote, le droit de grève et le droit à la liberté d'expression.
Le succès de l'opposition à l'interdiction de manifester du gouvernement Vivaldi prouve que c'est aussi dans la rue que nous devons défendre l'existence même de ces droits.
1Cité dans : https://www.lesoir.be/630280/article/2024-10-18/arizona-un-tour-de-vis-securitaire-sur-la-table
2https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/general/des-mouvements-propalestiniens-belges-sous-surveillance/10573864.html
3https://cnt-nar.be/sites/default/files/press_releases/fr/2024-09-24-FR.pdf