UNHCR - Office of the United Nations High Commissioner for Refugees

11/21/2024 | Press release | Distributed by Public on 11/21/2024 10:00

Le changement climatique alimente des tensions meurtrières au Nigéria

Dans le camp de déplacés d'Ichwa, près de Makurdi, dans l'État de Benue, au centre du Nigéria, Mimi Kiva dirige en chanson une classe de jeunes enfants souriants. Bien qu'elle n'ait pas de diplôme, cette femme de 47 ans est une enseignante au talent naturel, passionnée et bienveillante, dotée d'une énergie qui semble inépuisable.

Avant même que cette salle de classe ne soit construite l'année dernière et que Mimi ne soit recrutée comme assistante pédagogique bénévole, elle réunissait les enfants du camp pour des cours en plein air. « Je leur raconte des histoires sur ce qui se passait dans nos vies avant que nous n'arrivions au camp, sur notre culture », explique-t-elle. « J'aime ça parce que ça me fait oublier tout le reste ».

Il y a beaucoup de choses que Mimi aimerait oublier. Il y a trois ans, elle n'était pas enseignante mais agricultrice. Elle, son mari et leurs trois enfants possédaient deux hectares de terre dans la zone de Guma, à seulement 30 minutes du camp. Ils cultivaient des ignames, du sésame et du millet et élevaient des cochons et des poules. Mimi était particulièrement fière de leurs ignames, qui atteignaient une taille conséquente dans le sol riche de la région. De temps en temps, des éleveurs nomades passaient par là. « Ils nous demandaient du millet ou des ignames, et nous leur donnions », se souvient Mimi. « C'était comme ça à l'époque, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui ».

Mimi Kiva dans une classe de l'école primaire du camp d'Ichwa où elle travaille bénévolement comme assistante pédagogique.

© HCR/Colin Delfosse

Un jour, alors que Mimi, son mari et leur fille de 11 ans travaillaient dans leurs champs d'ignames, ils ont entendu un coup de feu. Lorsqu'ils ont levé les yeux, ils ont vu des hommes armés. Ils n'ont pas eu le temps de fuir. Les hommes ont violé et tué la fille de Mimi. Mimi a elle-même été violée et son mari a été tué. Plus tard, un chasseur l'a trouvée blessée et inconsciente et l'a aidée à se réfugier dans la brousse. Ils s'y sont cachés pendant deux jours avant qu'il ne puisse l'amener au camp en toute sécurité. Arrivée sur place, elle a reçu des soins médicaux et a retrouvé ses deux fils, aujourd'hui âgés de 12 et 15 ans.

« J'ai tout perdu », soupire Mimi. « Si vous allez dans mon village, vous verrez que tout a été brûlé. Je ne peux plus cultiver la terre. Et il n'y a pas que moi... nous avons tous connu ces choses. Nous avons beaucoup de veuves et d'orphelins ici ».

La quasi-totalité des 3 790 résidents enregistrés du camp d'Ichwa, et de nombreux autres camps disséminés dans l'État de Benue, sont des petits agriculteurs comme Mimi, contraints de s'installer ici à la suite de violents accaparements de terres.

Le camp d'Ichwa a été ouvert il y a cinq ans pour abriter un nombre croissant de personnes forcées de fuir les attaques violentes contre leurs fermes et leurs villages dans la région de Makurdi, dans l'État de Benue.

© HCR/Colin Delfosse

Au cours de la dernière décennie, les conflits entre communautés ont fait d'innombrables victimes dans la luxuriante région centrale du Nigéria. Ils ont entraîné le déplacement d'environ un demi-million de personnes dans le seul État de Benue. Des tensions similaires se produisent dans toute la région du Sahel car le changement climatique perturbe les moyens de subsistance traditionnels et intensifie la concurrence pour les réserves d'eau et les terres productives qui s'amenuisent.

Un rapport (lien en anglais) publié aujourd'hui par le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés, en collaboration avec des partenaires, examine les liens entre changement climatique, conflits et déplacements forcés. Il attire l'attention sur le fait que l'augmentation de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes peut aggraver ces tensions et affaiblir la cohésion sociale, alimentant ainsi les conflits et l'instabilité.

Par ailleurs, les phénomènes météorologiques extrêmes tels que les inondations et les sécheresses aggravent les risques auxquels sont confrontées les personnes déjà déplacées en raison des conflits et de la violence. Actuellement, environ 90 millions de personnes déplacées de force (lien en anglais) vivent dans des pays où l'exposition aux risques climatiques est élevée, voire extrême, et près de la moitié des personnes déracinées subissent à la fois les conséquences des conflits et les effets néfastes du changement climatique. Ce chiffre devrait augmenter au fur et à mesure que les risques climatiques s'intensifieront au cours des prochaines décennies.

Un nouveau défi

La majorité des éleveurs du Nigéria ont un mode de vie nomade, se déplaçant avec leurs troupeaux à la recherche de pâturages. Auparavant, ils parcouraient l'ensemble du pays, mais l'évolution dans la répartition des précipitations et la forte désertification ont poussé un nombre croissant d'entre eux vers le centre et le sud du Nigéria, où la croissance démographique et les fréquentes inondations ont réduit la quantité de terres disponibles pour le pâturage.

« Le changement climatique est un nouveau défi que nous ne connaissions pas il y a 20 ou 30 ans. Il a un impact réel sur nos vies », explique Ibrahim Galma, secrétaire de l'Association des éleveurs de bétail de Miyetti Allah (MACBAN), une association qui représente les intérêts des éleveurs de bétail au Nigéria. « Nos pâturages se sont asséchés et nos animaux ne peuvent plus y survivre. Cela oblige nos éleveurs à parcourir de longues distances et, depuis 2012, de graves tensions sont apparues. »