Université de Montréal

06/17/2024 | Press release | Distributed by Public on 06/17/2024 13:52

Les politiques d’intégration au marché du travail mal adaptées pour les minorités visibles

Au Canada comme au Québec, les membres des minorités visibles peinent à se tailler une place sur le marché de l'emploi, qu'ils soient nés ici ou à l'étranger. C'est pourquoi appartenir à une minorité visible constitue un déterminant encore plus important que d'être immigrant en ce qui a trait à l'intégration économique au pays.

C'est la principale conclusion à laquelle en vient le professeur Brahim Boudarbat, de l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal, dans un rapport qu'il a rédigé pour le compte du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), rendu public en décembre dernier.

Reposant sur les données du recensement canadien de 2021, le rapport indique que les personnes issues d'une minorité visible représentent 16,1 % de la population québécoise, comparativement à 26,5 % au Canada.

Au Québec seulement, la proportion de jeunes de moins de 25 ans appartenant à une minorité visible est de 22,2 %, soit près d'un jeune sur quatre.

Taux d'activité et chômage

Brahim Boudarbat

Crédit : Courtoisie

À l'instar des immigrants, les membres des minorités visibles de 15 ans et plus au Québec affichent un taux d'activité plus élevé (68 %) que ceux qui ne sont pas issus d'une minorité (62 %). La situation est cependant différente pour les jeunes de 15 à 24 ans des minorités visibles: 57 % participent au marché du travail, comparativement à 68 % pour les autres du même groupe d'âge.

Au chapitre du chômage, les minorités visibles sont davantage représentées avec un taux de 11,1 % en 2021, soit 4,2 points de pourcentage de plus - ou 1,6 fois plus - que celui chez les personnes n'appartenant pas à une minorité.

«De façon assez surprenante, les personnes issues d'une minorité visible et qui sont nées au pays sont celles qui affichent le taux de chômage le plus élevé, soit 12 % au Québec et 15 % au Canada, suivies des minorités composées d'immigrants avec 10,8 % au Québec et 12 % au Canada», souligne Brahim Boudarbat.

Et bien que cet écart soit présent pour tous les groupes d'âge, les jeunes Québécois âgés de 15 à 25 ans issus d'une minorité visible et nés au Canada sont encore plus touchés par le chômage, avec un taux de 17,7 %, contre 10,4 % chez les autres jeunes Canadiens de naissance.

Salaire moindre et surqualification

En 2020 au Québec, les membres de minorités visibles gagnaient, en moyenne, 17 % de moins que les autres personnes sur le marché du travail. Cette différence entre les deux groupes pouvait atteindre 29 % chez ceux nés ici et 23 % chez les immigrants.

Et lorsque les personnes des minorités visibles possèdent un diplôme universitaire (baccalauréat ou plus), elles sont plus susceptibles que les autres de se retrouver en situation de surqualification professionnelle.

En effet, 20 % des diplômés universitaires membres d'une minorité occupaient un emploi qui exige au plus un diplôme d'études secondaires, contre 8,6 % chez les autres.

Plus encore, le fait d'être né et d'avoir fait ses études au Canada n'y change rien: appartenir à une minorité visible vous expose plus que les autres diplômés à un risque de surqualification 1,5 fois plus élevé.

Recourir d'abord à la main-d'œuvre d'ici

Selon Brahim Boudarbat, la situation des membres des minorités visibles reflète «un cas flagrant de sous-utilisation importante des compétences et des ressources» qu'offrent les personnes issues d'une minorité visible.

Crédit : Getty

Selon Brahim Boudarbat, la situation des membres des minorités visibles, en particulier chez les jeunes et les femmes, reflète «un cas flagrant de sous-utilisation importante des compétences et des ressources» qu'offrent les personnes issues d'une minorité visible.

Dans un contexte où le Québec et le Canada cherchent à recruter plus de travailleurs à l'étranger pour faire face à la pénurie de main-d'œuvre, «la logique voudrait qu'on réalise d'abord le plein potentiel de la population en âge de travailler qui se trouve déjà sur place», suggère-t-il en dénonçant un «gaspillage de ressources».

«Le principe selon lequel l'immigration offre des avantages à long terme, du fait que les enfants des immigrants s'intègrent bien économiquement au Québec et au Canada, est remis en question dans le cas des minorités visibles», déplore le professeur de l'UdeM.

Revoir les politiques d'intégration et assurer la cohésion sociale

Selon les prévisions de Statistique Canada, 50 % de la population au pays sera composée d'immigrants et de leurs descendants d'ici 2041.

C'est pourquoi Brahim Boudarbat juge incontournable l'obligation, pour les décideurs publics, d'étudier les facteurs qui défavorisent les minorités visibles pour ensuite revoir les politiques d'intégration afin de les inclure dans leurs cibles prioritaires.

«Il ne s'agit pas tant de renforcer les politiques de discrimination positive que d'éliminer les obstacles à l'intégration économique des jeunes, qui les empêchent de contribuer au développement de leur société, précise Brahim Boudarbat. Il faut parer aux risques d'exclusion socioéconomique de ces jeunes et aux conséquences que cette exclusion pourrait avoir sur la cohésion sociale.»

«Tant les établissements scolaires et d'enseignement supérieur que les organisations patronales et celles liées aux ressources humaines ont de 10 à 15 ans pour se préparer à mieux accompagner les donneurs d'emploi quant à la nouvelle réalité du marché du travail à venir, conclut-il. C'est vrai pour le Québec et encore plus pour le Canada, où les minorités visibles représentent une plus grande proportion de la population.»