Amnesty International France

07/30/2024 | Press release | Distributed by Public on 07/29/2024 18:54

Des personnes demandeuses d’asile détenues dans un camp «pilote» financé par l’UE à Samos

Dans une zone reculée de l'île grecque de Samos se trouve un complexe sous haute surveillance, clôturé de fil barbelé. À l'intérieur, des conteneurs blancs sont alignés sur plusieurs rangées.

Il s'agit du « centre fermé à l'accès contrôlé » (KEDN en grec), un camp financé par l'Union européenne (UE) pour accueillir des personnes, principalement originaires de pays du Moyen-Orient et d'Afrique, qui demandent l'asile en Grèce.

Depuis 2020, la Commission européenne soutient la Grèce dans la création de « centres fermés à l'accès contrôlé » visant à remplacer les anciens « hotspots » destinés aux personnes demandeuses d'asile sur les îles de la mer Égée, où les conditions étaient souvent déplorables.

L'UE a promis que ces centres seraient « des installations pérennes conformes aux normes européennes » et garantiraient « de meilleures conditions de vie ». Lors d'une visite en décembre 2023, Amnesty International a constaté à l'inverse un « cauchemar dystopique » : un camp sous haute surveillance, dépourvu des infrastructures et des services les plus élémentaires, où, sous prétexte d'effectuer des procédures d'identification, les autorités soumettent systématiquement les personnes demandeuses d'asile à une détention illégale et arbitraire.

Les recherches d'Amnesty International mettent en évidence la situation préoccupante des droits humains dans le « centre fermé à l'accès contrôlé » de Samos, en se concentrant sur la période comprise entre juillet 2023 et janvier 2024, pendant laquelle l'augmentation des arrivées a entraîné une surpopulation et des conditions inacceptables et n'a fait que réduire l'accès déjà insuffisant des personnes vivant dans le camp aux services de base, notamment l'eau et les soins de santé. Elles montrent que, du fait des « restrictions de liberté » imposées par les autorités aux nouveaux arrivant·e·s, les résident·e·s sont systématiquement soumis à une détention illégale et arbitraire.

Elles ont été menées entre décembre 2023 et juin 2024 et reposent sur des réunions et des entretiens avec des résident·e·s, des représentant·e·s des autorités grecques, des organisations de la société civile et des organismes des Nations unies.



Qu'est-ce qu'un centre fermé à l'accès contrôlé ?

Après les incendies qui ont ravagé le camp de personnes réfugiées de Moria, sur l'île grecque de Lesbos, en 2020, la Commission européenne a alloué 276 millions d'euros au profit de cinq nouveaux centres « polyvalents », dont des centres d'accueil et de détention avant expulsion situés sur les îles de la mer Égée.

Le « centre fermé à l'accès contrôlé » de Samos, le premier à avoir ouvert ses portes, en 2021, se trouve dans une zone isolée à la périphérie de la ville principale, Vathi, où sont regroupés la plupart des infrastructures civiles, des services et des organisations de la société civile.

Le centre repose sur un système strict de restrictions et de surveillance, qui se caractérise notamment par une double clôture barbelée, une vidéosurveillance, des infrastructures de sécurité numériques et matérielles et la présence de patrouilles de police et d'agents de sécurité privés 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

En avril 2024, l'Autorité grecque de protection des données a infligé une amende aux autorités grecques pour l'utilisation de systèmes de sécurité également en place dans le centre de Samos, en raison de violations de la législation sur la protection des données.

DES CAMÉRAS DE SÉCURITÉ ET DES BARBELÉS ENTOURENT LE CENTRE, CRÉANT UN « ENVIRONNEMENT CARCÉRAL ». IL N'Y AVAIT PAS ASSEZ D'EAU OU LES SOINS DE SANTÉ ÉTAIENT INSUFFISANTS ET, DANS CERTAINS CAS, MÊME LES LITS MANQUAIENT. EN PLUS DE TOUT CELA, IL EST IMPOSSIBLE DE QUITTER LE CENTRE PENDANT DES SEMAINES, PARFOIS DES MOIS. »

Deprose Muchena, Directeur général en charge de l'impact régional sur les droits humains à Amnesty International

À quoi ressemble la vie dans le « centre fermé à l'accès contrôlé » de Samos ?

En raison de l'augmentation des arrivées à partir de juillet 2023, le centre de Samos a connu une surpopulation entre septembre 2023 et janvier 2024, atteignant un pic de 4 850 résident·e·s en septembre 2023.

Sa capacité initiale était de 2 040 personnes, mais les autorités l'ont portée à 3 650 en septembre 2023. Cette modification a été faite sans qu'aucune mesure n'ait, semble-t-il, été prise pour accroître la capacité d'hébergement.

Certaines personnes se sont ainsi retrouvées hors des zones d'habitation ou dans des conteneurs, où les conditions étaient déplorables, ce qui n'a fait qu'aggraver les problèmes de longue date concernant la fourniture de services de base, notamment les pénuries d'eau et l'absence de médecin permanent.

Les conditions de vie des résident·e·s, en particulier lorsque le centre était surpeuplé, pouvaient s'apparenter à des conditions inhumaines et dégradantes, allant à l'encontre de l'interdiction des mauvais traitements.

Depuis février 2024, le nombre de résident·e·s a diminué et n'excède plus la capacité du centre. Cependant, de graves défaillances persistent en ce qui concerne les conditions de vie des résident·e·s, notamment la fourniture de services médicaux et d'eau courante.

Les résident·e·s sont systématiquement soumis à des « restrictions de liberté », qui les confinent au centre pendant une période initiale de cinq jours, laquelle peut être - comme c'est majoritairement le cas dans la pratique - prolongée jusqu'à 25 jours au total, à compter de leur arrivée. Des résident·e·s et des organisations de la société civile ont déclaré que les personnes étaient souvent retenues au camp pendant plus de 25 jours, généralement sans qu'une décision sur leur « restriction de liberté » ne soit prise officiellement.

Outre la durée de ces mesures, les personnes soumises à des « restrictions de liberté » ne peuvent pas quitter le camp, sauf pour des « raisons de santé graves ». Ces restrictions sont appliquées systématiquement, sans évaluation personnalisée. Cela dépasse ce qui peut être considéré comme une restriction légitime du droit de circuler librement et s'apparente à une détention illégale.

Les mineur·e·s non accompagnés sont hébergés séparément dans une « zone sécurisée », à savoir un sous-secteur clôturé du centre. Néanmoins, ils sont soumis à de lourdes restrictions du droit de circuler librement, notamment l'interdiction de quitter le centre - sauf pour se rendre à l'école ou, depuis peu, pour pratiquer des activités de loisir sous la supervision de personnes chargées de la protection de l'enfance - ou même la « zone sécurisée » pour se rendre dans les espaces où se trouvent les autres résident·e·s.

Ces restrictions pourraient constituer une ingérence injustifiée dans leur droit à la liberté, leur droit à la sécurité et leur droit de circuler librement, et aller à l'encontre des normes internationales disposant que la détention d'enfants dans un contexte migratoire est une violation de leurs droits et devrait être interdite.

« Que souhaiteriez-vous dire au sujet du KEDN de Samos ? »

En mai 2024, Amnesty International et Samos Volunteers, une organisation de la société civile qui propose une éducation informelle, des vêtements et un soutien psychosocial aux personnes réfugiées ou migrantes à Samos, ont animé des ateliers artistiques avec des personnes qui avaient vécu ou vivaient encore dans le « centre fermé à l'accès contrôlé ».

Les ateliers ont été suivis par des personnes qui fréquentent les centres communautaires de Samos Volunteers, ainsi que par des personnes appartenant au groupe de soutien LGBTQI+.

Les participant·e·s ont été invités à répondre notamment aux questions suivantes : « Comment vous sentez-vous au camp de Samos ? » « Qu'aimeriez-vous changer à Samos ? » « Qu'espérez-vous pour l'avenir ? », en utilisant l'art comme une forme d'expression qui dépasse les frontières de la langue et de la culture.

Les œuvres présentées dans cette exposition en ligne illustrent des points de vue, des sentiments et des expériences personnels de la vie au camp. Elles accompagnent la nouvelle synthèse d'Amnesty International intitulée « Samos: "We feel in prison on the island": Unlawful detention and sub-standard conditions in an EU-funded refugee centre. »

(REMARQUE : Les informations personnelles concernant les auteur·e·s des œuvres ont été incluses, modifiées ou totalement omises en fonction de leurs souhaits.)

NOUS AVONS DES PROBLÈMES DE SANTÉ MENTALE. J'AI FUI LA GUERRE. NOUS AVONS QUITTÉ LA SYRIE POUR AVOIR UN AVENIR MEILLEUR, […] PAS [POUR ÊTRE] ICI DANS DES [CONDITIONS] DANGEREUSES, INSALUBRES, DIFFICILES POUR TOUTES SORTES DE RAISONS. J'AI LAISSÉ MA FAMILLE DANS MON PAYS ET MAINTENANT JE ME SENS PUNI ICI. »

Anwar*, un Syrien

LORSQUE NOUS SOMMES ARRIVÉ·E·S AU CAMP, IL Y AVAIT DE L'EAU TROIS HEURES PAR JOUR. ON NE POUVAIT PAS SE DOUCHER EN MÊME TEMPS. NOUS REMPLISSIONS UN PICHET D'EAU. NOUS NOUS LAVIONS COMME IL Y A 70 ANS. »

Bilal*, de Syrie, au KEDN depuis le 28 septembre 2023

Traduction de l'œuvre d'Omar

Partie 1 :

Ma première journée au camp de Samos

Tout était bien. Quand nous avons atteint l'île de Samos après avoir souffert en Turquie et « vu » la mort en mer, nous n'arrivions pas à croire que nous étions en vie et en bonne santé.

Ils sont venus en ambulance et avec des médecins au cas où quelqu'un serait blessé, mais personne n'était blessé, Dieu merci. Ils nous ont donné de la nourriture, de l'eau et des vêtements parce que la plupart d'entre nous étaient trempé·e·s. Une fille avait des frissons et de la fièvre, mais le médecin lui a donné du paracétamol. Elle [le médecin] était très gentille avec nous et nous a dit qu'elle avait travaillé au Yémen. Ça m'a fait tellement plaisir.

Partie 2 :

Ils nous ont emmené·e·s dans un gros véhicule parce que nous étions très nombreux. Plus de 20 personnes… Dès que nous sommes arrivé·e·s dans le camp, ils nous ont donné de la nourriture et de l'eau. La nourriture était bonne mais nous avons été retardé·e·s à cause des nombreuses questions et procédures. Nous étions tellement fatigué·e·s que tout ce que nous voulions, c'était dormir. Une fois le processus [d'inscription] terminé, nous avons pris nos couvertures et nous sommes rendu·e·s à un endroit qu'ils appellent [illisible]. En arrivant là-bas, nous avons été surpris·es car il n'y avait pas de matelas et nous allions devoir dormir à même le sol.

C'était problématique pour certain·e·s, mais ça allait pour les autres. Nous avons allumé l'air conditionné parce qu'il faisait froid et nous avons dormi, après un long voyage plein de péripéties et de difficultés…

Nous souffrons du problème d'eau. Ça coupe encore dans les toilettes la plupart du temps.

La procédure d'asile est toujours retardée et nous ne savons pas pourquoi.

C'EST DANGEREUX POUR MES ENFANTS, ILS NE PEUVENT PAS ALLER SEULS AUX TOILETTES, JE DOIS LES ACCOMPAGNER. LA PLUPART DU TEMPS, MES ENFANTS FONT PIPI SUR EUX PARCE QU'ILS ONT PEUR DE SORTIR LA NUIT. »

Ameer*, un Palestinien

L'EAU DANS LA SALLE DE BAIN EST SALE ET ARRIVE PAR INTERMITTENCE… MES ENFANTS ONT ATTRAPÉ DES POUX ET DES CAFARDS LEUR GRIMPENT DESSUS PENDANT QU'ILS DORMENT. LES ENFANTS SE RÉVEILLENT LA NUIT AVEC DES CAFARDS SUR EUX, C'EST TRAUMATISANT. »

Ameer*, un Palestinien

VIVRE DANS LE CAMP DE SAMOS EN TANT QUE PERSONNE DE LA COMMUNAUTÉ LGBTQ, C'EST TRÈS DIFFICILE, CAR IL N'Y A PAS DE LIEU SPÉCIAL POUR NOUS DANS LE CAMP… ILS NE SE SOUCIENT PAS DE CE QUE NOUS RESSENTONS. ON S'EST MOQUÉ DE MOI. CERTAINES PERSONNES DANS LE CAMP ONT DE LA HAINE À CAUSE DE L'IDENTITÉ SEXUELLE. ÇA ME REND TRISTE ET ÇA ME DÉPRIME.

Un résident du KEDN de Samos

« Ma vie vers la liberté » de Tasneem

« La présence des personnes réfugiées témoigne de leur résilience face aux difficultés, alors qu'elles sont confrontées à de nombreux problèmes. Elles continuent de construire une nouvelle vie et un avenir meilleur, elles ont besoin de soutien pour soulager leurs souffrances. Elles méritent d'être respectées, appréciées et de pouvoir construire une nouvelle vie. »

En haut, à gauche : C'est la forêt en Turquie, au passage de la frontière. C'est le pire, parce que ça détruit votre santé et votre esprit. Vous ne pensez qu'à franchir la frontière. Vous pourriez vous retrouver face à la police, vous pourriez même aller en prison et subir une expulsion vers votre pays avant de traverser.

En bas, à gauche : Dans cette partie, on voit des destins différents - vous pouvez arriver jusqu'à Samos ou vous pouvez être violemment renvoyé·e en Turquie. Les gens ici peuvent faire face à la mort en mer.

En bas, à droite : C'est le choc. Vous vous attendez à trouver une très bonne situation, mais c'est tout le contraire. C'est la prison. Ils disent que c'est l'Europe, que c'est la liberté - mais ce n'est pas ça.

En haut, à droite : C'est le rêve. C'est la belle vie. Tout le monde rêve de ce moment - d'avoir sa propre maison, sa propre vie, de ne plus avoir de problèmes, d'oublier sa souffrance. »

TOUT CELA EST LIÉ À L'ESPOIR. À CHAQUE ÉTAPE, VOUS ESPÉREZ POUR LA SUIVANTE. ET À LA FIN, VOUS ESPÉREZ UNE BELLE VIE POUR VOTRE FAMILLE ET VOUS. »

Tasneem

Cela ne peut pas être le modèle du Pacte sur la migration et l'asile de l'UE

Le soutien de la Commission européenne à la création et au fonctionnement du centre de Samos et des autres « centres fermés à l'accès contrôlé » sur les îles grecques renforce les responsabilités de celles-ci en cas de violation.

Comme tous les nouveaux centres financés par l'UE, le camp de Samos est censé être conforme aux principes qui sous-tendent le Pacte sur la migration et l'asile, un ensemble de réformes du droit d'asile européen qui a été récemment adopté.

Amnesty International s'est toujours dite préoccupée par le fait que le Pacte amoindrirait l'accès à l'asile et augmenterait le risque de violations des droits humains et de détention de facto, notamment en restreignant les déplacements des personnes soumises aux procédures de filtrage, d'asile et d'expulsion aux frontières.

L'UE doit amener la Grèce à répondre des violations des droits humains au centre et veiller à ce que ce modèle ne constitue pas un exemple pour les États membres qui mettent en œuvre le nouveau Pacte sur la migration et l'asile.

Nous pouvons faire mieux

Comme Tasneem nous le montre avec son œuvre, « Ma vie vers la liberté », tout espoir n'est pas perdu.

La Grèce et l'UE ont encore la possibilité d'agir pour améliorer les conditions de vie des personnes attendant qu'il soit statué sur leur demande d'asile et pour garantir que les droits humains soient respectés et que les personnes soient traitées selon les principes d'humanité les plus élémentaires.

Ce que vous pouvez faire pour inciter l'UE à agir :

* REMARQUE : Des pseudonymes ont été attribués à tous les résident·e·s du KEDN qui ont été interrogés.

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