Ministry of Europe and Foreign Affairs of the French Republic

12/09/2024 | Press release | Archived content

Entretien de Christophe Lemoine, porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, avec « BFM TV » (Paris, le 9 décembre 2024)

"Q - Bonsoir, Christophe Lemoine.

R - Bonsoir.

Q - Merci d'être avec nous ce soir dans « Tout le monde veut savoir ». Je le disais, vous êtes le porte-parole du Quai d'Orsay. Beaucoup de sujets à aborder avec vous sur les conséquences de la chute du régime de Bachar al-Assad, notamment pour la France et pour l'Europe. Je voudrais qu'on commence - et Ulysse Gosset est resté avec nous pour vous interroger - sur la question des demandes d'asile. Plusieurs pays européens - l'Allemagne, la Suède - ont décidé de suspendre les décisions sur les demandes d'asile d'exilés syriens. Le ministère de l'intérieur a fait savoir que la France envisageait de faire la même chose - confirmation il y a quelques instants de l'OFPRA, qui est l'Office français chargé précisément des demandes d'asile. Vous nous confirmez donc ce soir que c'est sur quoi les autorités françaises travaillent ? Ulysse le rappelait tout à l'heure, les chiffres sont infimes par rapport à d'autres communautés syriennes, notamment en Allemagne. Il n'empêche, ceux q ui nous regardent peuvent s'interroger sur cette décision. Pourquoi, au moment où un pays, en quelque sorte, retrouve la liberté après 50 années de dictature ? Pourquoi cette décision de réfléchir à la suspension des demandes d'examen d'asile ?

R - C'est une réflexion pour le moment, et c'est un peu la logique de ce que nos partenaires Schengen ont annoncé cet après -midi. C'est une suspension temporaire des revues des demandes d'asile, le temps d'y voir un peu plus clair sur la situation. Ce qui est vrai, c'est que la situation a été très évolutive ces derniers jours. Il y a eu effectivement des événements qui sont arrivés de manière extrêmement rapide, donc la situation n'est pas complètement stabilisée. Dans ce cadre, il a été décidé par plusieurs partenaires européens de suspendre temporairement l'examen de ces demandes d'asile.

Q - La logique - pour essayer de comprendre, Christophe Lemoine -, c'est quoi ? C'est que l'asile ne se justifierait plus puisqu'on ne serait plus dans un régime dictatorial comme on l'a connu pendant 50 ans ?

R - Les mécaniques des demandes d'asile sont assez complexes. Fondamentalement, c'est basé sur un besoin de protection d'une personne qui fuit une persécution de la part d'un État. Le principe, c'est celui-là. Et donc il y a toute une revue des dossiers au cas par cas de chaque demandeur, qui doit justifier de la protection qui lui est conférée par la France ou par un autre État Schengen. Dans le cadre d'une situation qui est extrêmement évolutive comme celle que l'on connaît - puisqu'il y a quand même eu la chute du pouvoir de Bachar al-Assad -, ce qui est certain, c'est que la situation change et changera. Vers quoi ? On ne le sait pas encore complètement. Et c'est ce qui justifie le fait que, de manière temporaire, presque de manière conservatoire, il y ait une suspension de ces demandes.

Q - Est-ce que ce n'est pas aller un peu vite en besogne, justement, parce qu'on ne sait pas ce qui va se passer en Syrie ? Il peut y avoir un régime islamiste qui prend le pouvoir et instaure la charia. Tous ces opposants qui ont fui le régime de Bachar ne sont pas des islamistes. Donc on peut comprendre qu'ils aient intérêt à rester en France. Est-ce que ce n'est pas un peu rapide ? Est-ce qu'il ne faut pas plutôt faire preuve de patience en attendant de voir, justement ?

R - Dans la logique des décisions qui ont été annoncées cet après-midi, la décision de suspension temporaire ne préjuge en rien de la décision finale qui sera accordée à chaque demande. Encore une fois, une demande d'asile est une demande de protection d'un individu, qu'il vient justifier sur la base d'une persécution de la part d'un État. Donc effectivement, la situation, comme vous le dites vous-même, on ne sait pas. C'est ce qui justifie cette suspension temporaire.

Q - On va avec vous, Christophe Lemoine, faire le point sur la position de la diplomatie française sur ce nouveau régime qui, effectivement, est arrivé au pouvoir. Juste avant, sur Bachar al-Assad, on voit que le Kremlin ne confirme pas sa présence à Moscou, même s'il confirme lui avoir donné l'asile pour des « conditions humanitaires » - c'est l'expression qui est utilisée. Est-ce que vous avez des informations sur la présence de Bachar al-Assad à Moscou ? Hier soir, le président américain, Joe Biden, a lui pour le coup affirmé sans conditionnel que le dictateur déchu était en Russie.

R - Non, aucune.

Q - Aucune ? Je voudrais qu'on parle du mouvement HTS, mouvement de rebelles islamistes qui a pris le pouvoir, et de son leader al-Joulani. Là encore, avec les informations dont vous disposez au Quai d'Orsay - en quelque sorte son passif, et son passé aussi -, est-ce que la diplomatie française croit à l'évolution, aux gages envoyés par al-Joulani ? Au fond, est-ce que c'est un interlocuteur crédible ou est-ce qu'il faut se méfier de quelqu'un qui appartient à un mouvement islamiste ?

R - C'est un individu qui a effectivement un CV assez long, mais en même temps c'est celui qui, aujourd'hui, fait basculer la situation. Comme le disait Jean-Noël Barrot ce matin, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, c'est une personne avec qui il va falloir compter. Encore une fois, il y a un début de transition politique qui s'ouvre. Le régime de Bachar al-Assad est tombé. Bachar al-Assad a fui. Donc il y a une transition qui s'ouvre…

Q - Ça, vous vous en félicitez ? La position officielle de la diplomatie française est de dire que la chute de Bachar al-Assad est une bonne chose ?

R - Absolument ! Ça clôt des années de dictature sanglante, de massacres d'un dictateur qui n'a pas reculé devant les moyens contre sa propre population. La France a rompu d'ailleurs ses relations diplomatiques avec la Syrie en 2012. C'était effectivement un signe de rupture extrêmement net. Donc oui, effectivement, la diplomatie française s'est réjouie de la chute de Bachar al-Assad. Mais la chute de Bachar al-Assad ouvre une période de transition. Et cette transition, comme l'a rappelé le Ministre, c'est une transition qui va devoir être ouverte et inclusive, et comprendre toutes les composantes de la société syrienne, que ce soient les composantes ethniques, religieuses ou politiques.

Q - Un point très précis sur ce mouvement HTS, Hayat Tahrir al-Cham. Les chancelleries occidentales - les États-Unis, l'Union européenne - considèrent ce mouvement comme un mouvement terroriste. Est-ce que la France considère que le mouvement HTS est un mouvement terroriste ?

R - Il a été reconnu, je crois, par l'ONU. Donc pour le moment, effectivement, on est dans cette situation-là.

Q - Donc la France considère toujours que ce groupe est un groupe terroriste ?

R - Oui. C'est ce qui justifie un peu cette position de prudence. Mais encore une fois, comme disait le Ministre ce matin, il va falloir voir comment les choses avancent et voir, en termes justement de transition politique, d'inclusivité, d'ouverture, de paix, de réconciliation au sein de la nation syrienne, comment les choses se passent. Là, on est un peu plus de 24h après la chute de Bachar al-Assad ; c'est extrêmement tôt pour savoir comment se dérouleront les événements par la suite. C'est pour ça qu'il y a un comportement, un peu, de prudence.

Q - Mais dans cette période de transition, est-ce que la France appelle au dialogue avec le chef des rebelles en particulier ? Est-ce que c'est à l'ordre du jour, comme d'ailleurs les Américains le proposent ? Hier, Joe Biden a dit : « nous allons dialoguer avec les nouveaux dirigeants. »

R - Absolument. Je pense qu'il faut…

Q - C'est-à-dire qu'il va y avoir un dialogue avec…

R - …parler à l'ensemble des composantes qui sont aujourd'hui représentatives de la société syrienne, y compris celle-ci. Mais encore une fois, la situation n'est pas complètement stabilisée sur le terrain. On est dans une situation qui est encore évolutive. Damas est tombée très rapidement, certes, mais le reste du territoire syrien demeure dans une situation complexe. Et évidemment, il faudra parler pour obtenir une transition qui permette la réconciliation et la réunification de la société syrienne.

Q - Ce soir, sur notre plateau, il y a quelques instants, l'un des dirigeants de l'opposition appelle justement à être reçu par le Président de la République, justement pour ce dialogue, pour expliquer le plan pour la nouvelle Syrie de demain. Vous êtes en contact avec l'opposition ? Vous soutenez l'opposition ? Comment ça se passe ?

R - Il y a des contacts. Mais encore une fois, la société syrienne est composée d'une mosaïque de minorités. C'est bien pour ça qu'il y a un appel à avoir une transition inclusive des minorités religieuses, ethniques et politiques. Et bien évidemment, le dialogue qui va s'ouvrir dans le cadre de la recomposition politique de la Syrie, devra être inclusif et comporter l'ensemble de ces minorités.

Q - Vous redoutez un scénario à la libyenne ?

R - Pour le moment, on suit avec beaucoup d'attention la situation. On ne préjuge pas de ce qui se passera par la suite. On sait qu'il n'y a jamais de scénario écrit d'un pays à l'autre et que c'est difficile pour le moment. Mais on suit la situation avec beaucoup d'attention.

Q - Un tout dernier mot avec vous, Christophe Lemoine, puisque à l'instant, Benjamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, affirme que le Golan annexé appartient à Israël « pour l'éternité ». Voilà l'expression qu'il utilise avec, en réaction de la part des Nations unies, ce qu'ils appellent une violation de l'accord de 1974. Est-ce que la diplomatie française a un commentaire à faire sur cette déclaration ? Rappelons - je parle sous le contrôle d'Ulysse Gosset - qu'il y a eu une avancée de l'armée israélienne.

Q - Ils ont occupé une partie de cette zone tampon entre Israël et la Syrie, dans le Golan.

R - La position de la France a toujours été assez constante sur ce sujet. On a toujours considéré que le Golan était un territoire occupé.

Q - Donc syrien ?

R - Occupé par Israël.

Q - Donc ça fait partie de la Syrie, selon la position française ?

R - C'est occupé par Israël.

Q - Et pour l'éternité ?

R - Non, mais c'est un territoire occupé. Encore une fois, il y a eu un accord en 1974 et on s'en tient à cette position-là.

Q - Donc si les Nations unies condamnent cette annexion du Golan, c'est aussi la position de la diplomatie française ?

R - Oui. D'une manière générale, on est toujours dans une position qui est conforme au droit international. Effectivement, s'il y a une condamnation de l'ONU, on la suit.

Q - Merci beaucoup Christophe Lemoine, porte-parole du Quai d'Orsay, d'être venu nous voir dans « Tout le monde veut savoir ».

R - Merci beaucoup."