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04/12/2024 | News release | Archived content

Maladies rares et myopathies : la recherche montre les muscles

Les maladies rares… n'en ont que le nom. Des millions de patients sont concernés par l'une de ces maladies, dont nombre sont d'origine génétique. Aujourd'hui, focus sur les maladies neuromusculaires, et notamment les myopathies. Comment la recherche s'organise pour mieux les connaître afin de mieux les prendre en charge ? Vous découvrirez que l'une des voies thérapeutiques les plus prometteuses s'apparente à un véritable cheval de Troie !

Cet article est la retranscription de l'émission « Eurêka » diffusée sur l'antenne de RCF Alsace le 14 novembre 2024, en partenariat avec la Délégation régionale InsermEst. Cet épisode est réécoutable en cliquant ici.

Comme chaque fin novembre, la célèbre musique du Téléthon a à nouveau retenti : cette mobilisation inédite, à travers une émission télévisée et des animations partout en France, met en lumière les maladies dites « rares » et vise à récolter des dons destinés à la recherche médicale les concernant. On pourrait supposer que les patients atteints de maladies rares sont peu nombreux… en réalité, ils sont des millions. Une maladie est dite « rare » dès lors qu'elle concerne moins d'une personne sur 2000 ; cela peut effectivement sembler peu, mais à ce jour plus de 6000 maladies rares différentes ont été décrites, portant à 3 millions le nombre de personnes en France concernées par l'une d'entre elles, 25 millions en Europe et plus de 300 millions dans le monde. La moitié de ces patients n'ont pas reçu de diagnostic précis et seuls 5% peuvent bénéficier d'un traitement spécifique.

Comment expliquer cette situation ? Eh bien globalement, nous manquons encore cruellement de connaissances sur bon nombre de ces maladies, c'est pourquoi il est souvent difficile de les diagnostiquer et encore plus de les traiter. Pourtant, elles sont généralement sévères et affectent considérablement la vie des personnes malades. Dans environ un cas sur deux, elles sont associées à un déficit moteur, sensoriel ou intellectuel.

Plus de 7 maladies rares connues sur 10 ont une origine génétique. Les maladies génétiques sont dues à des variations, des anomalies de l'ADN, ce support de l'information génétique qui détermine le fonctionnement de notre corps et certaines de nos caractéristiques physiques. Cette information nous est transmise par nos parents et nous la transmettons à nos enfants, entraînant un fort risque de récurrence de la maladie dans la famille - bien que les modes de transmissions soient complexes, et nous ne rentrerons pas dans ces spécificités aujourd'hui.

Chacune de nos 70 000 milliards de cellules contient notre patrimoine génétique via nos 23 paires de chromosomes, qui contiennent eux-mêmes notre ADN de manière compactée. L'ADN se présente sous la forme d'un complexe filament en forme de double hélice qui, si on le déroulait, mesurerait environ 2 mètres ! Rendez-vous compte, 2 mètres d'ADN compacté dans chacune de nos minuscules cellules. Le gène est un morceau de cet ADN qui correspond à une information génétique particulière et qui code pour une protéine unique, c'est-à-dire qui va transmettre un message à la cellule pour qu'elle synthétise telle ou telle protéine utile au fonctionnement de l'organisme. Lorsqu'une anomalie génétique apparaît dans un gène, la protéine ne fonctionne plus correctement, pouvant entraîner l'apparition d'une maladie génétique.

Le cas des myopathies

Parmi ces maladies figurent les myopathies, qui sont pour la plupart d'origine génétique. Les myopathies regroupent plus de 200 maladies neuromusculaires : si elles se caractérisent toutes par une diminution de la force musculaire, chaque type de myopathie correspond à une protéine déficiente différente, jouant un rôle dans la fabrication et le fonctionnement des muscles, ou dans la jonction entre muscles et nerfs.

Or, qui dit protéine déficiente, dit anomalie dans le gène supposé coder pour elle. Il existe environ 200 gènes différents en cause dans les myopathies. Certains sont situés sur le chromosome sexuel X, dont les hommes n'ont qu'un exemplaire contrairement aux femmes, de sorte qu'ils sont les principaux atteints même si les femmes, bien que plus rarement affectées, peuvent transmettre la maladie. C'est le cas de la myopathie myotubulaire, myopathie héréditaire et sévère affectant les nouveau-nés et enfants à raison d'environ un cas sur 50 000 naissances. Cette myopathie présente à la naissance est associée à une extrême faiblesse musculaire généralisée, au point que les muscles impliqués dans la respiration comme le diaphragme ne peuvent pas fonctionner, entraînant une détresse respiratoire profonde. L'impact de cette pathologie est particulièrement important sur les patients, et donc sur leurs familles et notre système de santé. La moitié des enfants atteints décèdent avant l'âge de 18 mois et il n'existe pas de thérapie à l'heure actuelle.

Si ces myopathies sont difficiles à traiter, c'est notamment car elles impliquent des dysfonctionnements dans la structure des muscles. Or, nous possédons des centaines de muscles, environ 600 ! Ils représentent ainsi environ 40% du poids sec d'un individu et sont répartis dans l'ensemble du corps. Le muscle est un organe crucial pour la génération de mouvements bien sûr, mais il joue aussi un rôle primordial dans la respiration, dans le maintien du corps à la température souhaitée ou encore dans le métabolisme.

Au sud de Strasbourg, à Illkirch-Graffenstaden, Jocelyn Laporte se consacre depuis 30 ans à l'étude de ces maladies rares. Chercheur Inserm à l'Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire, ce réputé centre de recherche affilié à l'Université de Strasbourg, au CNRS et à l'Inserm, Jocelyn Laporte et son équipe d'une vingtaine de membres se concentrent sur les maladies neuromusculaires.

Ensemble, ils mènent de front trois combats. D'une part, ils visent à identifier de nouveaux gènes impliqués dans ces maladies neuromusculaires rares et notamment des myopathies affectant principalement des enfants - jusqu'ici, ils ont identifié près d'une vingtaine de gènes impliqués ! Déterminer la mutation génétique à l'origine de la maladie est en effet une étape cruciale pour le patient, qui permet de mettre fin à l'errance diagnostique et de poser un nom précis sur la maladie, ouvrant ainsi la voie à une meilleure prise en charge.

D'autre part, il s'agit de mieux comprendre le passage de la mutation génétique à la faiblesse musculaire. Déchiffrer ces mécanismes pathologiques est indispensable pour la mise au point de thérapies et le développement de médicaments.

Enfin, l'objectif ultime est de valider des preuves de concept thérapeutiques. En utilisant des stratégies innovantes dans des modèles de laboratoire, Jocelyn Laporte et son équipe proposent des thérapies qui pourront être testées chez les patients dans le cadre d'essais cliniques. Notre chercheur concentre ses efforts sur deux types de myopathies, appelés myotubulaires et centronucléaires, avec comme ambition de parvenir à normaliser les fonctions musculaires. Par exemple, faire en sorte que les patients puissent se passer de ventilation assistée constituerait un gain d'autonomie non-négligeable.

Notons que l'AFM Téléthon apporte depuis des années un soutien financier aux recherches menées par Jocelyn Laporte, qui a dès sa thèse choisi de travailler sur ces maladies génétiques, trouvant du sens dans la portée quasi philosophique d'un engagement contre des maladies "écrites" dans l'ADN des patients.

Un cheval de Troie viral

L'approche pratiquée par Jocelyn Laporte vise à agir directement sur les gènes mutés, ceux présentant une anomalie, pour les suppléer. C'est ce qu'on appelle la thérapie génique. Elle consiste à remplacer littéralement le gène défaillant, qui ne code plus les protéines utiles au bon fonctionnement de la contraction musculaire, et ainsi corriger le patrimoine génétique défectueux. Cette stratégie de thérapie génique (il en existe d'autres) repose sur l'utilisation d'un matériel génétique comme médicament, puisqu'on introduit dans l'organisme des gènes sains à des fins thérapeutiques - d'où l'appellation de « gène médicament » qu'on entend parfois.

Pour introduire ce matériel génétique, deux solutions :

Dans le cas de pathologies affectant des petits organes par exemple, la thérapie génique peut être pratiquée ex-vivo. On prélève des cellules au patient puis on les cultive en laboratoire en y ajoutant un gène fonctionnel. Les cellules traitées sont ensuite réinjectées au patient. Mais souvenez-vous, les muscles sont répartis partout dans le corps et représentent une masse importante, cette méthode n'est donc que peu adaptée.

Par conséquent, l'introduction du matériel génétique thérapeutique va plutôt s'effectuer directement in-vivo. Autrement dit, on va chercher à injecter au patient le gène fonctionnel, ce qui constitue un sacré défi puisque celui-ci doit pouvoir atteindre chacune des cellules musculaires de notre corps. Comment faire pour y arriver ? Eh bien, figurez-vous qu'on va infiltrer un agent qui aura la faculté de disséminer ce matériel génétique dans nos cellules. Et les meilleurs candidats en la matière ne sont autres que… les virus. Oui, vous avez bien entendu, les virus. C'est en fait ce qu'ils font quand ils nous contaminent en se multipliant. Plus précisément, on recourt à petit virus à ADN, qui peut infecter l'être humain mais ne provoque pas de maladie et n'entraîne qu'une réponse immunitairemodérée. Une fois à l'intérieur des cellules, comme tous les virus, il en prend en quelque sorte le contrôle, puisque la cellule infectée se voit obligée de répliquer l'ADN de son indésirable visiteur.

Le virus fait donc office de vecteur pour introduire le matériel génétique. Pour autant, il ne s'agit pas de rendre le patient malade ; il est donc inactivé en laboratoire, c'est-à-dire qu'on enlève son ADN, pour le rendre inoffensif. D'un ennemi, on en fait un allié. En revanche, on conserve précieusement l'enveloppe du virus, sa structure externe comprenant les protéines qui lui permettent d'entrer dans les cellules. C'est donc un véritable cheval de Troie qui est mis au point, puisque la structure extérieure du virus et ses propriétés lui permettent de s'introduire dans notre organisme et nos cellules. Une fois la cible atteinte, surprise : notre « cheval de Troie viral » y relargue non pas son ADN mais le gène fonctionnel introduit en laboratoire et visant à remédier à l'anomalie génétique impliquée dans la maladie. Le virus n'est qu'une simple illusion…

D'une certaine manière, on cherche à duper l'organisme tout en utilisant des principes biologiques. Notre chercheur cherche aussi de plus en plus à modifier la structure du virus utilisé comme vecteur pour que son enveloppe cible des tissus particuliers, en l'occurrence les muscles. Éviter que le virus ne se réplique ailleurs limiterait le risque d'effets indésirables voire de complications sévères liées à l'introduction du gène dans des organes qui n'étaient pas ciblés, comme le foie, ou d'éventuelles toxicités induites par leur injection.

Ces thérapies sophistiquées montrent que les maladies rares sont entrées dans l'ère des traitements, mais de nouvelles questions se posent sans cesse. En l'occurrence, les thérapies géniques utilisant un virus comme vecteur ne peuvent s'effectuer qu'en une seule injection et auprès de patients n'ayant jamais croisé le virus utilisé. C'est le principe de la vaccination : lorsque notre système immunitaire rencontre un virus pour la première fois, il en mémorise les caractéristiques pour mieux s'en défendre la fois suivante. Pour dépasser cette limite, Jocelyn Laporte travaille également sur le développement de vecteurs synthétiques cette fois, qui seraient eux aussi capables de transporter le gène médicament et de fusionner avec la membrane des cellules sans provoquer de réaction immunitaire.

Quoi qu'il en soit, la thérapie génique constitue un véritable espoir pour de nombreuses maladies génétiques héréditaires, mais elle peut aussi être envisagée pour traiter des cancers, des maladies du sang ou des maladies neurodégénératives.

On le voit bien, mieux comprendre une maladie rejaillit positivement sur l'ensemble de la recherche biomédicale, puisque c'est le niveau de connaissances générales qui se trouve amélioré. La dernière publication de Jocelyn Laporte, parue il y a seulement quelques jours dans la prestigieuse revue Science, l'illustre bien : il co-signe ce papier avec son confrère américain Lloyd Trotman, qui a découvert un mécanisme pour contrebalancer les effets d'un gène participant au développement du cancer de la prostate. Cette parade passe par une supplémentation en vitamine K, connue pour ses propriétés oxydantes. Or Jocelyn Laporte montre, dans un modèle animal de myopathie (myotubulaire / centronucléaire), que ce même traitement peut en améliorer les symptômes. Là encore, ces résultats devront être validés dans des études plus larges et des essais cliniques, mais la recherche est à l'œuvre et nombre de scientifiques, comme Jocelyn Laporte, y consacrent leur vie.

Coupes de muscles de souris sauvage (WT) ou dépourvues de MTM1 (KO), sans eau ou avec une supplémentation en précurseur de vitamine K (MSB). La coloration permet d'apprécier que la taille des fibres musculaires des souris sans MTM1 augmente jusqu'à une taille normale avec la supplémentation.
©Charlotte Gineste, IGBMC, Illkirch